vendredi 14 décembre 2018

Selon la Cour de cassation, la remise par une société de presse de bulletins de paie à un pigiste ne permet pas de considérer qu'il est présumé salarié

Une personne (on verra plus loin qu'il est difficile de la dénommer autrement) se voit commander, pendant plusieurs années, l'écriture d'articles par une société de presse, éditrice de périodiques.

Celle-ci lui remet des bulletins de paie sur lesquels est visée la convention collective des journalistes. Une indemnité compensatrice de congés payés égale à 10% lui est versée (ce qui est habituellement le cas des journalistes payés à la pige, dont les congés ne sont pas payés lorsqu'ils sont pris) ainsi qu'une prime de treizième mois conformément aux termes de l'article 25 de cette convention collective.

Du montant brut des rémunérations expressément qualifiées de "piges", sont déduites diverses cotisations sociales et notamment celles du chômage.

La relation contractuelle est arrêtée à l'initiative de la société de presse, sans que celle-ci estime devoir faire quoi que ce soit (par exemple procéder au licenciement de ce "pigiste" et lui remettre une attestation destinée à Pôle emploi qui lui aurait permis de percevoir les indemnités chômage pour lesquelles des cotisations avaient été versées pendant toutes les années de collaboration…).

Le pigiste saisit le conseil de prud'hommes puis la Cour d'appel de Versailles pour obtenir des indemnités liées à la rupture de son contrat de travail ainsi que la remise des documents obligatoires de fin de contrat.

Dans le cadre de cette procédure, la société de presse soutient que ce pigiste n'était pas salarié et qu'il ne peut de ce fait prétendre à une quelconque indemnisation.

Ce pigiste réplique qu'il bénéficiait a minima d'un contrat de travail apparent du fait de la remise de bulletins de paie.

Cette notion de contrat de travail apparent est classique. 

Elle permet à celui qui peut l'invoquer de bénéficier d'une présomption de salariat, à charge pour celui qui conteste cette présomption d'apporter la preuve de l'absence d'une relation de travail salariée et donc notamment d'un défaut de lien de subordination.

Selon la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la remise de bulletin de paie permet de retenir l'existence d'un contrat de travail apparent.

Elle l'a par exemple jugé très clairement dans un arrêt le 23 mars 2011.

Dans son arrêt du 28 septembre 2016, la Cour d'appel de Versailles a toutefois jugé que, malgré la remise de bulletins de paie par la société de presse, le pigiste ne pouvait pas prétendre à la reconnaissance d'un contrat de travail apparent et ce parce que cette société avait l'obligation de prélever diverses cotisations sur les sommes versées à un "journaliste pigiste".

Elle a retenu ensuite que ce pigiste n'apportait pas la preuve d'un lien de subordination dont, faute de pouvoir invoquer la présomption de salariat qui aurait découlé de la reconnaissance d'un contrat de travail apparent, il avait la charge.

N'étant pas reconnu salarié, le pigiste a donc été débouté de toutes ses demandes et notamment de celles qui étaient liées à la rupture de la relation contractuelle par la société de presse.

Il saisit la Cour de cassation.

Par un arrêt du 28 juin 2018, cette Cour rejette le pourvoi.

Elle estime "qu'ayant relevé que l'établissement de bulletins de salaire était rendu nécessaire par l'obligation faite à l'entreprise de presse de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste pigiste, la cour d'appel en a exactement déduit que l'intéressé ne bénéficiait pas d'un contrat de travail apparent".

Cet attendu est particulièrement étonnant.

La Cour de cassation y fait tout d'abord état d'un "statut de journaliste pigiste".

Or un tel statut n'est prévu par aucun texte, le pigiste étant celui qui est payé à la pige laquelle n'est qu'un mode de rémunération à la tâche des journalistes. Une personne peut avoir le statut légal de journaliste professionnel ou encore celui de salarié mais pas celui de pigiste.

La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 23 janvier 2013, avait ainsi à juste titre relevé qu'
"il n'existe légalement aucun statut particulier du pigiste, en ce que la pige n'est qu'un mode spécifique de rémunération du journaliste".

Mais  surtout, ce qui est le plus marquant dans cet arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018 pourtant publié au bulletin, c'est que le juge du droit qu'est cette Haute Cour ne cite aucun texte.

Il est vrai que la Cour d'appel de Versailles ne l'avait pas non plus fait dans son arrêt du 28 septembre 2016.

La Cour de cassation affirme pourtant avec force, pour motiver sa décision, que l'entreprise de presse a "l'obligation" de prélever diverses cotisations liées à ce "statut de journaliste pigiste".

Or il n'est pas vraiment habituel qu'une telle obligation ne soit pas prévue par un texte.

En fait, le texte qu'auraient dû citer la Cour d'appel de Versailles puis la Cour de cassation est l'article L.311-3 du Code de la Sécurité sociale.

Celui-ci dispose que :

"sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires :

(…)

16° les journalistes professionnels et assimilés, au sens des articles L. 761-1 et L. 761-2 du code du travail, dont les fournitures d'articles, d'informations, de reportages, de dessins ou de photographies à une agence de presse ou à une entreprise de presse quotidienne ou périodique, sont réglées à la pige, quelle que soit la nature du lien juridique qui les unit à cette agence ou entreprise".

L'article L.311-2 du Code de la sécurité sociale auquel renvoie ce texte vise l'affiliation aux "assurances sociales du régime général", c'est-à-dire, selon l'article L.311-1 de ce même Code, celles qui assurent "le versement des prestations en espèces liées aux risques ou charges de maladie, d'invalidité, de vieillesse, de décès, de veuvage, de maternité, ainsi que de paternité"

Il résulte donc tout d'abord de ces textes que l'obligation de prélever les cotisations des assurances sociales du régime général n'est pas applicable à tous les pigistes mais uniquement aux journalistes professionnels payés à la pige (sur la notion de journaliste professionnel, cf. cette autre page).

Or, on rappellera ici que le journaliste professionnel, quel que soit son mode de rémunération (à la pige ou au temps passé) est présumé salarié, ainsi que le prévoient clairement les dispositions de l'article 
L.7112-1du Code du travail.

Il est donc assez logique que les rémunérations versées à un journaliste professionnel payé à la pige soient soumises, par principe, aux cotisations sociales. 

En revanche ces textes du Code de la sécurité sociale ne prévoient absolument pas qu'une entreprise de presse aurait l'obligation de prélever des cotisations sociales sur les rémunérations versées à une personne qu'elle paye à la pige mais qui n'aurait pas le statut de journaliste professionnel ou qui ne serait pas salariée.

Bref, il faut distinguer deux hypothèses :

  • lorsque le pigiste est un journaliste professionnel, la société de presse a l'obligation de prélever des charges sociales sur les rémunérations qu'elle lui verse. Dans ce cas, le débat sur la présomption de salariat découlant de la remise de bulletins de paie ne présente strictement aucun intérêt puisque ce pigiste est déjà présumé salarié du seul fait de ce statut de journaliste professionnel ;
  • en revanche, lorsque le pigiste n'a pas le statut de journaliste professionnel, la remise de bulletins de paie sur lesquels apparaissent les prélèvements de charges sociales qui ne sont pas obligatoires s'il n'est pas salarié, devrait évidemment permettre à ce pigiste de revendiquer l'existence d'un contrat de travail au moins apparent ;
D'ailleurs, même à supposer, malgré les termes clairs de l'article  L.311-3 du Code de la sécurité sociale, que des charges sociales du régime général devraient être prélevées y compris sur les rémunérations versées aux pigistes qui n'ont pas le statut de journaliste professionnel, le fait de les faire cotiser au chômage devrait, malgré tout, leur permettre de revendiquer l'existence d'un contrat de travail apparent.

En effet, selon l'article L5422-13 du Code du travail "tout employeur assure contre le risque de privation d'emploi tout salarié". Si la société de presse considère que son pigiste n'est pas salarié elle n'est donc pas son employeur et cette obligation ne s'impose pas.

Or, dans l'affaire jugé par la Cour de cassation le 28 juin 2018, la société de presse avait prélevé sur les rémunérations versées au pigiste les cotisations du chômage ce que, encore une fois, aucun texte n'impose pour les non salariés et pour les pigistes qui ne sont pas journalistes professionnels. 

La Cour d'appel de Versailles puis encore la Cour de cassation n'ont pourtant tiré aucune conséquence du paiement de ces cotisations chômage ; elles n'ont en particulier pas relevé qu'il est totalement contradictoire de soutenir qu'un pigiste ne serait pas salarié (ou en tout cas présumé salarié) alors qu'on l'a fait cotiser à une assurance chômage dont (à l'époque des faits) il ne pouvait pas bénéficier s'il n'était pas salarié.

Il est pourtant pour le moins curieux qu'une entreprise puisse prélever d'autorité sur la rémunération qu'elle verse à son cocontractant des cotisations du chômage puis ensuite valablement soutenir que celui-ci n'ayant pas été salarié elle n'a pas à lui remettre d'attestation Pôle emploi lui permettant de faire valoir ses droits au chômage et que ce dernier ne puisse même pas prétendre à la reconnaissance d'un contrat de travail au moins apparent !

Il est encore plus curieux que la Cour de cassation valide un tel raisonnement et se contente de faire état d'une"obligation faite à l'entreprise de presse de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste pigiste" laquelle n'existe pas pour les pigistes qui n'ont pas le statut de journaliste professionnel et qui, s'agissant des cotisations chômage, ne s'applique qu'à ceux qui sont salariés.

Au surplus, le pigiste recevait une indemnité de congés payés et se voyait appliquer la convention collective des journalistes, ce qui caractérise une relation de travail entre un employeur et un salarié. 

Là encore, les deux juridictions n'en ont tiré aucune conséquence, la Cour d'appel de Versailles se contentant d'indiquer que la mention d'une convention collective sur un bulletin de paie ne valait pas présomption de contrat de travail, sans prendre en considération, d'une part, les termes de l'article 1er de la convention collective des journalistes qui prévoient clairement que celle-ci ne s'applique qu'aux journalistes salariés et, d'autre part, que l'entreprise de presse en question l'avait bien appliquée, notamment en versant au pigiste les primes de 13ème mois et d'ancienneté prévues à cette convention.

Reste une question à laquelle la Cour de cassation se garde bien de répondre. 

Si, malgré la remise de bulletins de paie contenant des cotisations du chômage, ce pigiste 
n'est pas salarié qu'est-il ?

Auteur, travailleur indépendant, commerçant, "pigiste non salarié" ?

De la réponse découle pourtant l'application de régime fiscaux et sociaux bien différents. 

On voit en tout cas que, patiemment mais sûrement, arrêt après arrêt, la Cour de cassation réduit les droits des journalistes et plus particulièrement ceux qui sont payés à la pige.



jeudi 16 août 2018

La Cour de cassation refuse de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC portant sur sa jurisprudence relative à l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse

Dans le cadre d'une procédure d'appel nullité d'une décision de la Commission arbitrale des journalistes ayant fixé l'indemnité de licenciement d'un journaliste qui avait été employé pendant plus de 15 ans par une agence de presse, la Cour d'appel de Paris avait accepté de transmettre à la Cour de cassation la question de prioritaire de constitutionnalité (QPC) rédigée ainsi :

"L'interprétation jurisprudentielle constante des articles L 7112-2, L 7112-3 et L 7112-4 du code du travail issue de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation numéro 11-28.713 du 13 avril 2016 (FS+P+B) réservant le bénéfice de l'indemnité de licenciement [de congédiement] aux journalistes
 salariés des entreprises de journaux et périodiques à l'exclusion des journalistes  des agences de presse et de l'audiovisuel est-elle conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis, dont en premier lieu le principe d'égalité ?" (cf. cette autre page sur ce sujet).

Par un arrêt du 9 mai 2018, la Cour de cassation a toutefois refusé de transmettre cette question au Conseil constitutionnel.

Celui-ci n'aura donc pas l'occasion d'y répondre.

Pour motiver sa décision de refus, la Cour de cassation retient tout d'abord que "la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle".

De fait, on sait que pour qu'une QPC puisse être transmise il ne faut pas qu'elle porte sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle sur laquelle le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer.

On reste toutefois un peu sur sa faim, car la Cour de cassation se garde bien de préciser à quelle occasion le Conseil constitutionnel se serait déjà prononcé sur ce sujet.

Or l'unique fois où le Conseil de constitutionnel s'est penché sur la constitutionnalité des dispositions des articles L7112-3 et L7112-4 du Code du travail (et pas de celles de l'article  L7112-2), c'était dans le cadre de sa décision du 15 mai 2012. Etaient alors contestés, le mode de calcul de l'indemnité de licenciement des journalistes et le recours obligatoire à la Commission arbitrale des journalistes pour les salariés ayant plus de 15 ans d'ancienneté (cf. cette autre page sur ce sujet).

Evidemment à cette date, le Conseil constitutionnel ne s'était pas prononcé sur la conformité à la Constitution de l'arrêt rendu le 13 avril 2016 – soit 4 ans plus après - par lequel la Cour de cassation a jugé que l'indemnité de licenciement des journalistes telle que prévue à l'article L.7112-3 du Code du travail ne s'appliquait pas aux journalistes employés par des agences de presse et ce au motif que l'article L.7112-2 du même Code, pourtant relatif au seul préavis, fait lui référence aux "entreprises de journaux et périodiques" (cf. cette autre page sur ce sujet).

Par ailleurs dans son arrêt du 9 mai 2018, comme si elle n'était pas vraiment certaine de son premier moyen, la Cour de cassation a ajouté, pour justifier sa décision de refus de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, qu'il "n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées refusant au journaliste salarié d'une agence de presse le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail".

Là encore, la rédaction de l'arrêt manque de clarté.

Deux lectures sont possibles.

La première – optimiste pour ceux qui voudraient penser que la règle posée par l'arrêt du 13 avril 2016 est provisoire – consiste à relever que la Cour de cassation ne s'est prononcée qu'une seule fois sur cette question et qu'il n'est dès lors pas possible, comme cela était fait dans la QPC posée,  de considérer qu'il s'agit, "en l'état" d'une "jurisprudence constante".

Il est toutefois peu habituel qu'une juridiction mette en avant son inconstance et c'est sans doute une seconde lecture qu'il faut retenir.

La Cour de cassation n'a jamais refusé aux journalistes salariés d'une agence de presse le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du Code du travail.

Sa décision du 13 avril 2016 a en effet été rendue au visa des seuls articles L. 7112-2 (relatif au préavis) et L. 7112-3 (fixant à un mois par année ou fraction d'année l'indemnité de licenciement dans la limite de 15) du Code du travail (cf. cette autre page sur ce sujet) et non pas sur l'application des dispositions de l'article L.7112-4 du même Code (relatives à la compétence de la Commission arbitrale des journalistes pour fixer l'indemnité de licenciement des journalistes ayant plus de 15 années d'ancienneté).

En fait, si la Cour de cassation ne s'est "en l'état" pas prononcée sur l'application des dispositions prévues à l'article L.7112-4 du Code du travail aux journalistes employés par une agence de presser c'est simplement parce que le salarié qui avait engagé la procédure ayant abouti à l'arrêt du 13 avril 2016 n'avait pas 15 ans d'ancienneté au moment de la rupture de son contrat de travail.

On imagine bien que lorsqu'elle est saisie d'une QPC qui porte sur la constitutionnalité de sa propre jurisprudence, la Cour de cassation est déjà assez peu encline à la transmettre au Conseil constitutionnel, mais en lui prêtant une jurisprudence qu'elle n'a "en l'état" pas sur la non-application des dispositions de l'article L.7112-4 aux journalistes employés par des agences de presse, l'auteur de la QPC lui a facilité la tâche.

L'occasion de faire examiner cette jurisprudence incompréhensible de la Cour de cassation sur l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse par le Conseil constitutionnel a donc été un peu gâchée.

vendredi 27 avril 2018

Une QPC sur l'indemnité de licenciement des journalistes employés par les agences de presse

Un journaliste avait engagé une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail contre son employeur, la principale agence de presse française (cf. cette autre page sur la notion de résiliation judiciaire d'un contrat de travail).

Après que cette résiliation – qui produit les effets d'un licenciement abusif – ait été été prononcée le 12 septembre 2014, le salarié, qui avait plus de 15 ans d'ancienneté, saisit la Commission arbitrale des journalistes afin qu'elle détermine le montant total de son indemnité de licenciement (cf.cette autre page sur ce sujet).

Le 6 février 2016, cette Commission lui accorde une indemnité de licenciement.

Le 13 avril de la même année, la Cour de cassation rend un arrêt dans lequel elle retient que les journalistes employés par des agences de presse ne peuvent pas prétendre à l'indemnité légale de licenciement des journalistes, prévue (pour les journalistes) à l'article L7112-3 du Code du travail, soit un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté dans la limite de 15, mais uniquement à l'indemnité légale qui est elle prévue aux articles L.1234-9 et R.1234-2 du Code du travail, soit (désormais) 1/4 de mois par année d'ancienneté dans la limite de 10 ans et 1/3 de mois pour les années supérieures à 10 (cf. cette autre page sur cet arrêt).

Cette décision, peu compréhensible en droit, arrive manifestement aux oreilles de l'agence de presse qui décide de faire un appel nullité de la décision de la Commission arbitrale (cf. cette autre page sur cet appel nullité d'une décision de la Commission arbitrale des journalistes).

Devant la Cour d'appel de Paris ainsi saisie, le journaliste présente une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (cf. cette autre page sur la QPC).

Il soutient que l'arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2016 porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce qu'au visa des articles L.7112-2 et L.7112-3 du Code du travail, il opère un revirement de la jurisprudence qui alignait le statut des journalistes de l'ensemble des entreprises de presse (agence de presse, journaux et périodiques et audiovisuel) pour le bénéfice de l'indemnité de congédiement.

Il demande donc à la Cour d'appel de Paris de transmettre à la Cour de cassation la QPC suivante :

"L'interprétation jurisprudentielle constante des articles L.7112-2, L. 7112-3 et L.7112-4 du code du travail issue de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation numéro 11-28713 du 13 avril 2016 (FS+P+B) réservant le bénéfice de l'indemnité de licenciement de congédiement aux journalistes salariés des entreprises de journaux et périodiques, à l'exclusion des journalistes des agences de presse et de l'audiovisuel, est elle conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis, dont en premier lieu le principe d'égalité".

Par un arrêt du 13 février 2018, la Cour d'appel a accepté de transmettre cette question à la Cour de cassation.

Elle estime en effet que les trois conditions prévues à l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 pour la transmission d'une QPC sont réunies :

1ère condition : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou encore constituer le fondement des poursuites.

C'est manifestement le cas puisque le différend porte sur l'application ou non notamment de l'article L.7112-3 du Code du travail relatif à l'indemnité de congédiement des journalistes à ceux  appartenant à une agence de presse.


2ème condition : la disposition contestée ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.

Sur ce point, la Cour d'appel de Paris constate dans son arrêt que ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 14 mai 2012  (cf. cette autre page sur ce sujet)


Toutefois, selon la Cour, "une nouvelle jurisprudence, dès lors qu'elle émane d'une cour suprême, acquière un caractère constant qui permet de considérer qu'elle constitue un changement de circonstances propres à justifier la saisine de la Cour".
 
Or, elle constate qu'"en l'espèce, par plusieurs décisions antérieures au 13 avril 2016, la Cour de cassation avait reconnu aux journalistes exerçant au sein d'agences de presse, les même droits que ceux ouverts aux journalistes exerçant au sein d'entreprises de journaux et périodiques en cas de rupture du contrat de travail".
De fait, cette décision du Conseil constitutionnelle du 14 mai 2012 est antérieure à l'arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2016 et à cette époque la Cour de cassation ne considérait pas que les journalistes employés par des agences de presse devaient être exclus du bénéfice de l'indemnité de licenciement des journalistes. La Cour de cassation avait par exemple jugé le 5 octobre 1999 "qu'ayant fait ressortir que la société Sipa press était une agence de presse au sens de l'article L. 761-2 du Code du travail, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que les salariés, en leur qualité de journaliste professionnel, pouvaient prétendre à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 761-5 du Code du travail [devenu les articles L7112-3 et L7112-4]".

3ème condition : la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.

La Cour d'appel estime, pour justifier la transmission de la QPC à la Cour de cassation, que celle-ci ne manque pas de caractère sérieux dès lors que "le rapport Brachard à l'origine de la loi du 29 mars 1935 relative au statut professionnel des journalistes n'avait pas entendu opérer de distinction dans les statuts des journalistes selon l'entreprise au sein de laquelle ils exerçaient".

Il appartient donc désormais à la Cour de cassation de décider de transmettre ou non cette QPC au Conseil constitutionnel qui, le cas échéant, aurait à dire si la jurisprudence de la Cour de cassation excluant les journalistes travaillant dans des agences de presse du bénéfice de l'indemnité de licenciement des journalistes telle que prévue par la loi est ou non conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis.

Après l'avoir refusé, la Cour de cassation reconnaît en effet désormais qu'une QPC peut porter sur sa propre jurisprudence, la Conseil constitutionnel ayant retenu que "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative".

Reste donc à savoir si la Cour de cassation soumettra la question qui lui a été transmise au Conseil constitutionnel et, le cas échéant, qu'elle réponse y sera apportée par ce dernier.

On peut observer en l'état que, contrairement à ce qui est indiqué dans la question transmise, la Cour de cassation n'a jamais jugé que  "les journalistes de l'audiovisuel" ne peuvent pas prétendre à l'indemnité légale de licenciement des journalistes. Elle n'a pas non plus, dans sa décision du 13 avril 2016, dit que la Commission arbitrale n'est pas compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse.

La Cour de cassation pourrait donc estimer que la question qui lui est posée lui prête une jurisprudence qu'elle n'a pas (encore ?).

L'examen de cette question aura en tout cas le mérite de conduire la Cour de cassation à se pencher à nouveau sur ce sujet et peut être de constater que rien, ni – comme l'a relevé la Cour d'appel de Paris -dans le rapport Brachard de 1935 sur le statut des journalistes professionnels, ni dans la loi ne permet de distinguer les journalistes employés par des agences de presse des autres journalistes lorsqu'il s'agit de déterminer le montant de leur indemnité de licenciement.


jeudi 1 février 2018

A quelle date la résiliation du contrat de travail du journaliste pigiste doit-elle être fixée en cas d'arrêt des piges par l'employeur ? Le pigiste doit-il être ou ne pas être à la disposition de son employeur ?

La résiliation judiciaire d'un contrat de travail est prononcée par une juridiction lorsque, saisie d'une telle demande par un salarié, elle estime que l'employeur a commis des fautes d'une certaine gravité justifiant que ce contrat soit rompu à ses torts.
Dans un tel cas, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 
La faute mise en avant par le salarié pour justifier la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail peut notamment être l'arrêt de fourniture d'un travail par son employeur et/ou la cessation du paiement d'un salaire. 
C'est une situation que rencontrent en particulier les journalistes payés à la pige. Bien souvent, parce qu'ils ne sont - à tort - pas considérés par les sociétés de presse qui les emploient comme des salariés sous contrat à durée indéterminée, leurs commandes de piges sont arrêtées ("suspendues") du jour au lendemain.
Une journaliste payée à la pige travaillait régulièrement pour la société PRISMA MEDIA.
En août 2008, en raison de la cessation de la publication à laquelle elle collaborait, cette société avait arrêté de faire appel à elle et de la rémunérer, sans pour autant la licencier.
Cette journaliste avait donc saisi les juridictions du travail. 
Elle leur demandait de prononcer la résiliation judicaire de son contrat de travail et de fixer la date d'effet de cette résiliation au jour de la décision à intervenir.
La date de la résiliation du contrat de travail est évidemment importante car c'est en fonction de celle-ci que sera arrêtée l'ancienneté du salarié et que sera calculé le montant de son indemnité de licenciement. 
Le salarié peut normalement également prétendre à un rappel de salaire au titre de la période comprise entre la date à laquelle il a cessé d'être payé et celle à laquelle le contrat de travail est résilié par la juridiction. 
La journaliste pigiste sollicitait d'ailleurs également la condamnation de la société PRISMA MEDIA à lui payer le salaire qu'elle aurait dû recevoir entre la dernière paie qui lui avait été versée (en septembre 2008) et la date à laquelle le contrat de travail serait résilié par la juridiction. 
Par jugement du 8 décembre 2009, le conseil de prud'hommes a débouté la journalise de l'ensemble de ses demandes (ce qui est assez habituel lorsque le demandeur est un pigiste).
Saisie d'un recours, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 4 juillet 2012, relevé qu'"en arrêtant à compter d'octobre 2008 toute collaboration professionnelle avec Mme Marie-Christine Z ainsi privée de rémunération, la SNC Prisma Media a modifié de manière unilatérale le contrat de travail en s'abstenant de l'exécuter aux conditions convenues, ce qui constitue de sa part un manquement fautif d'une gravité suffisante de nature à justifier que la résiliation dudit contrat soit prononcée par la cour à ses torts exclusifs, laquelle doit produire dans ce cas les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences indemnitaires de droit" 
Dans cet arrêt la Cour d'appel a toutefois fixé la date de la résiliation judicaire au 1er octobre 2008, soit celle à laquelle la Société PRISMA MEDIA avait cessé de fournir du travail à la journaliste et de la rémunérer.
Pour justifier cette décision, la Cour d'appel a indiqué dans cet arrêt qu' "il sera rappelé par ailleurs que la prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu'à la date de la décision la prononçant si le salarié est toujours à la même époque au service de l'employeur. 
Les parties s'accordant en l'espèce sur le fait d'un arrêt de leur collaboration professionnelle à compter du 1er octobre 2008, il y a lieu de fixer à cette même date la prise d'effet de la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'intimée".
Dans cette logique, la Cour d'appel ne pouvait que débouter la journaliste de sa demande de rappel de salaires au titre de la période comprise entre l'arrêt de fait  du contrat par l'employeur et la date de la décision prononçant la résiliation judicaire. 
Elle a donc jugé que "contrairement à ce qu'elle prétend, [la journaliste] n'était pas bien fondée dans sa demande nouvelle en paiement d'un rappel de salaires (…) sur la période du mois d'octobre 2008 à mai 2012de sorte qu'elle en sera déboutée".
Cette journaliste a formé un pourvoi en cassation. 
Le 3 juillet 2013, Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel en relevant que :
"Qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date" et que "pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société avec effet au 1er juillet 2003, rejeter les demandes de Mme X... à titre de rappels de salaire et de prime conventionnelle d'ancienneté sur la période de décembre 2003 à septembre 2011 et limiter le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt retient que la prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu'à la date de la décision la prononçant si le salarié est toujours à la même époque au service de l'employeur, et que les parties s'accordent sur le fait d'un arrêt de leur collaboration à compter du 1er juillet 2003.
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que le contrat de travail avait été rompu antérieurement à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
En d'autres termes, la Cour d'appel de Paris aurait dû, selon la Cour de cassation, fixer la date de fin du contrat de travail au jour de son arrêt, soit le 4 juillet 2012.
L'affaire a donc été renvoyée, après cassation, devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
Ayant a priori bien compris les termes de l'arrêt de la Cour de cassation, la Cour d'appel de Paris, dans un nouvel arrêt du 12 novembre 2015, a jugé que "considérant que le contrat de travail n'ayant pas été rompu préalablement, la cour prononcera la résiliation du contrat de pigiste au jour du prononcé du présent arrêt" (soit le 12 novembre 1995).
La Cour d'appel a toutefois encore refusé dans cet arrêt de faire droit à la demande de rappel de salaires formulée par la journaliste au motif que celle-ci ne justifiait "d'aucune activité pour le compte de la société PRISMA MEDIA après août 2008 en raison de la cessation de parution du titre".
Cette journaliste forme alors un nouveau pourvoi en cassation. 
Par un arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation retient "qu'ayant fait ressortir que la salarié ne s'était pas tenue à la disposition de l'employeur après août 2008, la Cour  d'appel a, par ce seul motif légalement justifié sa décision" en ce qu'elle a rejeté la demande de rappel de salaires.  
On reste assez surpris par cette motivation car rien dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 novembre 2015 (ni d'ailleurs dans celui du 4 juillet 2012) ne permettait de déduire que la journaliste ne s'était pas tenue à la disposition de son employeur après août 2008.
L'une des obligations essentielles de l'employeur est de fournir du travail à son salarié. Il aurait donc été cohérent que le rejet de la demande de rappel de salaires soit conditionné par le constat que c'est la journaliste qui avait refusé le travail qui lui était proposé ou alors que l'employeur démontrait que le pigiste ne s'était pas tenu à sa disposition. Or, en l'espèce, il n'était pas contesté que c'est l'employeur qui avait pris la décision de ne plus fournir le moindre travail à sa salariée. 
Il est toutefois évident que, dans la logique de cet arrêt, il appartient au pigiste, demandeur au paiement du rappel de salaires, de démontrer qu'il est resté à la disposition de son employeur après que celui-ci ait cessé de lui fournir du travail.
En faisant supporter au pigiste la charge de cette preuve, la Cour de cassation rend quasiment impossible un tel rappel de salaires. 
Une telle jurisprudence méconnait en effet la réalité des relations de travail entre une entreprise de presse et un journaliste payé à la pige. Il est très rare qu'il soit clairement indiqué au journaliste que sa collaboration est définitivement arrêtée et ce n'est souvent qu'au bout de plusieurs mois qu'il peut le constater.  Entre temps, sauf à anéantir tout espoir d'une reprise de cette collaboration, il lui est évidemment difficile d'envoyer régulièrement des courriers recommandés à son (ex) employeur lui indiquant qu'il se tient à sa disposition pour la poursuite de cette collaboration. 
En outre, la Cour de cassation semble avoir oublié que le journaliste payé à la pige n'est, en fait, jamais  "à la disposition" de son employeur.
Sous l'intitulé  "interprétation", la convention collective nationale de travail des journalistes précise que : "le journaliste professionnel employé à titre occasionnel désigne le journaliste salarié qui n'est pas tenu de consacrer une partie déterminée de son temps à l'entreprise de presse à laquelle il collabore, mais n'a pour obligation que de fournir une production convenue dans les formes et dans les délais prévus par l'employeur".  
Dès lors qu'il est payé à la tâche, en fonction des commandes qui lui sont passées, le journaliste pigiste n'est pas tenu de travailler selon des horaires ou des jours précis. 
Il lui est donc d'autant plus difficile de démontrer qu'il est resté, pendant des temps de travail qui ne sont et ne peuvent pas être définis, à la disposition de son employeur après que celui-ci ait arrêté de le payer et ce dans l'attente (parfois très longue) de la décision judiciaire à intervenir. 
Le journaliste payé à la pige travaille souvent en dehors des locaux de l'entreprise. Il lui est donc d'autant plus difficile - pour ne pas dire impossible - de démontrer qu'il est resté, chez lui, à la disposition de son employeur pour la poursuite de la collaboration.
Mais la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 septembre 2017, ne s'est pas contentée d'approuver la décision de la Cour d'appel de Paris du 12 novembre 2015 en ce qu'elle avait rejeté la demande de rappel de salaires formulée par la journaliste, elle a aussi cassé cet arrêt en ce qu'il a fixé la date de résiliation du contrat de travail au jour de son prononcé (12 novembre 2015). 
Ne reculant pas devant la contradiction puisqu'elle avait elle-même, dans son précédent arrêt du 4 décembre 2013, censuré l'arrêt de la Cour d'appel du 4 juillet 2012 qui avait fixé la date de la résiliation judicaire au jour de l'arrêt de paiement des salaire soit le 1er octobre 2008, la Cour de cassation indique désormais qu' "en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur".
Comprenne qui pourra (et en en tout cas probablement pas la journaliste concernée) !
L'affaire est donc à nouveau renvoyée devant la Cour d'appel de Paris invitée à rendre un 3ème arrêt dans cette affaire. 
Il reste que la Cour de cassation ajoute ainsi une condition supplémentaire, non évoquée dans son arrêt du 3 juillet 2013. Pour que la date de résiliation judiciaire soit fixée au jour de la décision de justice qui la prononce, il faut que, ce jour-là, le salarié soit toujours au service de son employeur !
Bien sûr, il était acquis depuis longtemps que lorsque, en cours de procédure judiciaire, le contrat de travail dont le salarié demandait qu'il soit résilié par les juridictions était rompu (par exemple par un licenciement ou une démission) la date de cette résiliation ne pouvait être fixée rétroactivement qu'au jour de cette rupture (on ne rompt pas deux fois un même contrat).
Dans un arrêt du 21 septembre 2016, la Cour de cassation avait déjà atténué sa jurisprudence en approuvant une Cour d'appel d'avoir fixé la date de la résiliation judiciaire au jour où le salarié avait conclu un autre contrat de travail avec un autre employeur en estimant que le salarié n'était alors plus à la disposition de son employeur précédent. 

Mais dans son arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation va évidemment plus loin. Elle ne tire pas les conséquences de la conclusion d'un nouveau contrat de travail par la pigiste, elle fait peser sur cette journaliste les effets de la faute de son employeur : la date de la résiliation judicaire doit être fixée au jour de l'arrêt de la collaboration c'est-à-dire au jour où le salarié n'était plus "au service" de son employeur, date qui correspond à celle de l'arrêt de la fourniture de travail.
C'est ainsi toute la stratégie adoptée par certaines sociétés de presse qui est encouragée par la Cour de cassation qui n'a pas vu (ou plutôt n'a pas voulu voir) à quel point les journalistes payés à la pige peuvent être malmenés par leurs employeurs et se retrouver, du jour au lendemain et malgré une collaboration qui a parfois duré de nombreuses années, privé de ressources et sans même la possibilité de percevoir des indemnités de Pôle emploi. 
Rien n'incitera désormais ces sociétés, qui décident – sans avoir un quelconque motif économique ou personnel pour en justifier – d'arrêter leur collaboration avec un journaliste payé à la pige, de payer ce qu'elles devraient leur verser en pareil cas et de leur remettre les documents de fin de contrat.   
Le risque qu'elles prennent finalement est en effet de devoir uniquement payer à ce journaliste, au bout de la procédure judiciaire (laquelle peut être très longue), ce qu'elles auraient dû spontanément régler : une indemnité de licenciement calculée à la date à laquelle elles ont cessé de lui fournir du travail sans avoir à redouter de voir cette faute sanctionnée par des rappels de salaire.
Certes, objectera-t-on, les juridictions pourront toujours, lorsqu'il s'agira de faire sanctionner la rupture abusive du contrat de travail, allouer au salarié une indemnité pour licenciement abusive mais ces indemnités étant désormais plafonnées précisément en fonction de l'ancienneté du salarié, le fait de fixer la date de la rupture du contrat de travail au jour de l'arrêt du paiement des salaires par l'employeur aura évidemment une incidence négative sur leur montant.