jeudi 20 août 2015

Quel délai pour invoquer la clause de cession des journalistes ?

Depuis 2009, une partie à une procédure judiciaire qui estime qu'une disposition légale qui lui est opposée est contraire à la constitution peut poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

La procédure prévoit plusieurs filtres et en particulier, en matière sociale, d'abord celui de la juridiction saisie qui doit notamment vérifier que la QPC est sérieuse avant, le cas échéant, de la transmettre à la Cour de cassation laquelle examine à son tour le sérieux de cette question puis décide de renvoyer ou non la question au Conseil constitutionnel, seul compétent pour déclarer la disposition légale conforme ou non à la Constitution.

A la suite d'une cession, une société de presse ouvre la clause de cession pour une durée de 9 mois.

6 mois après cette date butoir, une journaliste invoque la clause de cession.

Son employeur lui répond qu'elle est hors délai et refuse de lui verser l'indemnité de licenciement.

Le conseil de prud'hommes de Paris est saisi en référé par la journaliste.

Faute d'accord entre les conseillers (un employeur et un salarié), l'affaire est renvoyée devant le juge départiteur

La journaliste argue du fait que le délai fixé par son employeur pour invoquer la clause de cession ne lui était pas opposable.

Ce dernier répond que son ancienne salariée n'a pas invoqué la clause de cession dans un "délai raisonnable".

Cette Société de presse décide également de présenter une question prioritaire de constitutionnalité rédigée de la façon suivante :

"Les dispositions de l'article L. 7112-5, 1° du code du travail ainsi que la portée que leur donne la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu'elles ne prévoient pas les modalités de leur application et en ce qu'elles créent un droit imprescriptible pour les journalistes ne contreviennent-elles pas au principe d'égalité, au principe de liberté contractuelle ainsi qu'aux garanties fondamentales nécessaires à l'exercice des droits et libertés prévus aux dispositions des articles 1, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946 ainsi qu'aux dispositions des articles 1 et 34 de la Constitution de 1958 ?"

L'article L. 7112-5 1° du Code du travail est celui relatif à la clause de cession des journalistes.

Il est rédigé en ces termes :

"Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 (relatives au licenciement d'un journaliste) sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes :

1° Cession du journal ou du périodique"

On comprend donc, à la lecture de cette question, que la Société de presse reprochait à cet article L. 7112-5 1° du Code du travail de ne pas prévoir les modalités pratiques de mise en œuvre de la clause de cession des journalistes et en particulier l'absence de délai pour invoquer la clause de cession.

Il faut ici rappeler que la Cour de cassation juge régulièrement que l'article L 7112-5 du Code du travail n'impose aucun délai aux journalistes pour mettre en œuvre la clause de cession (cf. cette autre publication sur ce sujet)

Par une ordonnance du 30 avril 2015, le conseil de prud'hommes de Paris (formation de départage) a accepté de transmettre la QPC à la Cour de cassation.

Il estime en particulier que cette question est sérieuse.  

Il relève que :

  • L'exercice de la clause de cession prévu à l'article L.7112-5 1° du Code du travail permet à un journaliste de rompre son contrat de travail à la suite de la cession du journal pour lequel il travaille et que ni ce texte, ni aucune autre disposition réglementaire, ne précise de délai pour la mise en œuvre de cette clause par la journaliste après la dite cession ;
  • qu'aucune notion de délai raisonnable n'a non plus été dégagée parla jurisprudence ;
  • qu'il en ressort qu'un journaliste serait susceptible de pouvoir invoquer cette clause, plusieurs années après la cession de son journal pour rompre son contrat de travail et "bénéficier des dispositions financières avantageuses prévues aux articles L.7112-3 et L. 7112-4 du Code du code du travail"


La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 juillet 2015, a néanmoins refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel.

Elle estime d'abord que la question posée n'est pas nouvelle.

Elle retient surtout que "les dispositions contestées, telles qu'elles sont interprétées par la Cour de cassation, ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la prescription extinctive ; que la question qui prête à l'interprétation jurisprudentielle une portée qu'elle n'a pas n'est pas sérieuse".

De fait, contrairement à ce que prétendait la Société de presse dans sa QPC, aucune décision de la Cour de cassation n'a jugé que le droit pour un journaliste d'invoquer la clause de cession est imprescriptible.

Au surplus, ce n'est pas parce qu'un texte qui instaure un droit ne prévoit pas expressément de délai pour en bénéficier que ce droit peut être exercé à tout moment.

Si la Cour de cassation rappelle régulièrement que l'article L. 7112-5 du code du travail n'impose aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la clause de cession c'est pour répondre aux moyens qui lui sont soumis prétendant que cette clause devrait être évoquée dans un "délai raisonnable" ou encore dans le délai fixé par l'employeur au moment de l'ouverture de cette clause.

Elle n'a pour autant jamais jugé que ce droit peut être invoqué sans aucune limite dans le temps.

D'ailleurs, si l'on examine les différents arrêts qui ont pu être rendus sur le sujet du délai pour invoquer la clause de cession, on s'aperçoit que les sociétés de presse soutiennent toujours que le délai entre la cession et la date à laquelle le journaliste a invoqué la clause de cession est excessif (et donc que la demande du journaliste serait mal fondée), mais qu'elle ne prétendent jamais que le droit du journaliste aurait été éteint par l'effet de la prescription (et donc que l'action du journaliste serait irrecevable).

Quoi qu'il en soit, en relevant expressément dans sa décision du 7 juillet 2015 que sa jurisprudence sur le délai pour invoquer la clause de cession ne déroge "pas aux règles de droit commun relatives à la prescription extinctive", la Cour de cassation semble retenir que c'est ce délai de droit commun qui devrait s'appliquer.

Rappelons ici que selon les dispositions de l'article 2219 du Code civil "la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps".

Puisque le droit d'invoquer la clause de cession n'est pas imprescriptible, il reste à déterminer quel est le délai de la prescription extinctive applicable à la clause de cession (autrement dit, quel est le délai maximal pour invoquer cette clause).

Selon l'article 2224 du Code civil le délai de droit commun de la prescription extinctive est de 5 ans.

La loi dite de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 a créé l'article L1471-1 du Code du travail qui dispose que "toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit".

Ce texte vise toutefois le délai pour agir en justice et non pas celui pour bénéficier d'un droit.

Or, le journaliste qui invoque la clause de cession n'engage pas une action, il invoque simplement le droit qui lui est reconnu par l'article L. 7112-5, 1° du Code du travail.

On peut donc penser – au risque de se tromper dans l'attente d'un arrêt de la Cour de cassation plus explicite – que le journaliste peut faire jouer la clause de cession dans le délai de droit commun de l'article 2219 du Code civil, soit 5 ans à partir de la cession ou, plus précisément, de la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d'invoquer la clause de cession. Autrement dit, tant que le journaliste n'est pas informé de la cession, le délai de prescription extinctive ne commence pas à courir. Pour saisir le conseil de prud'hommes, il n'aura en revanche que 2 ans à partir de la date à laquelle il a notifié sa décision d'invoquer la clause de cession si son employeur lui en a refusé le bénéfice.  

mercredi 10 juin 2015

Montant minimum de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle due à un journaliste, la Cour de cassation a tranché


Deux thèses s'affrontaient.

La première consistait à soutenir que l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui devait être versée à un journaliste professionnel ne pouvait pas être inférieure à celle due, également à un journaliste professionnel, dans le cadre d'un licenciement, soit un mois par année d'ancienneté dans la limite de 15 (article L. 7112-3 du code du travail)

Selon la seconde thèse, seul le plancher de l'indemnité légale de licenciement soit 1/5ème de mois par année d'ancienneté (majorée de 2/15ème au delà de 10 ans d'ancienneté) devait être respecté.

En octobre 2013, deux chambres distinctes de la Cour d'appel de Paris avaient adopté, à un jour d'intervalle, l'une et l'autre de ces 2 thèses (cf. cette autre publication sur ce point).

La décision de la Cour de cassation était donc attendue.

Par un arrêt 3 juin 2015, elle a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait jugé que le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle due à un journaliste professionnel devait être au moins égal à l'indemnité de licenciement prévue, par la loi, pour les journalistes. 

Elle constate tout d'abord que l'article L.1237-13 du code du travail selon lequel "la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L.1234-9 du Code du travail" se réfère aux seules dispositions de cet article L.1234-9.

Cet article L1234-9 du Code du travail dispose que  "le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire".

Or, pour la Cour de cassation, l'indemnité de licenciement qui est visée par cet article L1234-9 ne peut être que celui prévu par les articles R. 1234-1 et R. 1234-2 c'est-à-dire une indemnité d'un cinquième de mois par année d'ancienneté.

Le raisonnement suivi par la Cour d'appel de Paris selon lequel "les articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail ne fixent pas un mode de calcul unique de l'indemnité de licenciement mais un mode de calcul minimum auquel il peut être dérogé et que l'indemnité de licenciement du journaliste prévue à l'article L. 7112-3 du code du travail constitue une indemnité de licenciement au sens de l'article L. 1234-9 du code du travail auquel la convention de rupture ne pouvait pas déroger par application des dispositions de l'article L. 1237-13 du même code" est donc censuré.

Dit autrement, il est possible de conclure avec un journaliste professionnel une rupture conventionnelle prévoyant une indemnité spécifique de rupture inférieure à celle qui aurait du lui être versée en cas de licenciement dès lors que cette indemnité spécifique est au moins égale à 1/5 de mois par année d'ancienneté dans la limite de 10 ans (et de 1/3 de mois pour la partie supérieure à 10 ans d'ancienneté).

Cette décision appelle deux commentaires et un rappel.

D'abord, puisque la Cour de cassation considère que seules les règles de droit commun s'appliquent aux journalistes régularisant une rupture conventionnelle, la compétence de la Commission arbitrale des journalistes pour fixer le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle dû à des journalistes ayant plus de 15 ans d'ancienneté ne semble définitivement pas pouvoir être retenue (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Ensuite, les journalistes professionnels bien qu'ayant, par l'effet de la loi, droit à une indemnité de licenciement nettement supérieure à celle prévue en droit commun pour tous les autres salariés (5 fois plus environ) sont en pratique placés dans une situation bien moins favorable que de très nombreux autres salariés. En effet, la plupart des conventions collectives prévoient une indemnité de licenciement supérieure à celle prévue par la loi. Or, depuis l'avenant du 18 mai 2009 à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 (étendu le  26 novembre 2009), le montant de l’indemnité́ spécifique de rupture conventionnelle ne doit pas être inferieur au montant de l’indemnité́ conventionnelle de licenciement lorsque cette dernière est supérieure à l’indemnité́ légale de licenciement.

Par exemple, un cadre (non journaliste) employé par une entreprise de presse et dont le contrat de travail est soumis à la convention collective de la presse (cadre) ne pourra pas percevoir une indemnité spécifique de rupture conventionnelle inférieure à un mois par année d'ancienneté (dans la limite de 16) alors que celle versée à un journaliste, employé dans la même société, pourra n'être que de 1/5ème de mois par année d'ancienneté. Le fait que le mode de calcul de l'indemnité de licenciement des journalistes soit prévu non pas par la convention collective des journalistes (qui ne détermine que l'assiette de cette indemnité en son article 44) mais par la loi est donc un désavantage certain dans le cadre d'une rupture conventionnelle. Cela peut paraître paradoxal.

Un rappel donc pour finir. Aucune des parties, employeur ou salarié ne peut être contrainte d'accepter une rupture conventionnelle. De plus si, comme vient de le juger la Cour de cassation, le plancher de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle dû à un journaliste est de 1/5ème de mois par année d'ancienneté, il n'existe aucun plafond et les parties sont donc libres de fixer cette indemnité spécifique par exemple au montant de l'indemnité de licenciement des journalistes. Bref, journaliste et employeur peuvent entre eux convenir d'appliquer une règle que ni la loi ni la convention collective ne prévoient expressément.

jeudi 21 mai 2015

La Commission arbitrale des journalistes est-elle compétente pour déterminer l'ancienneté d'un journaliste ?

Une salariée embauchée en 1990 invoque en 2008 la clause de cession des journalistes (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Son employeur lui verse alors une indemnité de licenciement équivalente à 14 mois de salaire.

Cette salariée conteste le montant de cette indemnité qui, selon elle, ne tient pas compte de son ancienneté dans la société supérieure à 15 ans.

L'employeur lui répond que si elle était bien journaliste au moment de la rupture du contrat de travail, elle ne l'était pas au moment de son embauche (en qualité de directrice artistique) et qu'elle ne l'est devenue qu'en avril 1994, soit moins de 15 ans avant la date à laquelle elle a invoqué la clause de cession.

La journaliste saisit le Conseil de prud'hommes et, en parallèle, la Commission arbitrale des journalistes.

Cette Commission qui est compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement uniquement lorsque le journaliste a plus de 15 ans d'ancienneté (ou en cas de licenciement pour faute grave, ce qui n'était ici pas le cas) (cf. cette autre publication sur ce sujet), décide de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de prud'hommes.

En juin 2009, le Conseil de prud'hommes juge que la salariée ne peut pas prétendre à une ancienneté en qualité de journaliste professionnelle supérieure à 15 ans.

La Cour d'appel de Paris confirme cette décision et arrête le point de départ de l'ancienneté de la salariée en qualité de journaliste au mois d'avril 1994, ainsi que le soutenait l'employeur.

Le motif qui avait conduit la Commission arbitrale des journalistes a sursoir à statuer ayant disparu, la journaliste décide, nonobstant l'arrêt de la Cour d'appel qui a retenu une ancienneté inferieure à 15 ans, de reprendre la procédure arbitrale.

En novembre 2011, cette Commission arbitrale, après avoir constaté que la Cour d'appel de Paris avait retenu que cette salariée ne pouvait prétendre à une ancienneté supérieure à 15 ans en qualité de journaliste professionnelle, se déclare incompétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement.

La journaliste décide d'interjeter appel de cette décision arbitrale.

Il n'est ici pas inutile de rappeler que, selon les dispositions du dernier alinéa de l'article L7112-4 du Code du travail : "la décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel".

On sait toutefois que nonobstant cette disposition, un appel-nullité reste possible.

Sans rentrer ici dans tous les détails, l'appel-nullité est envisageable précisément lorsqu'aucun recours n'a été prévu par le législateur.

Cette voie de l'appel-nullité est toutefois forcément étroite ; elle concerne surtout les hypothèses où un excès de pouvoir a été commis.

S'agissant de la Commission arbitrale des journalistes, c'est donc principalement lorsqu'elle a statué en dehors de son champ de compétences (délimité par la loi) que des appels-nullité ont été jugés recevables et fondés.

Ainsi saisie par la journaliste, la Cour d'appel de Paris ne s'est toutefois pas prononcée sur le bien-fondé de son appel-nullité.

Ce recours a en effet été jugé irrecevable au motif que les conclusions au soutien de cet appel n'ont pas été signifiées dans un délai de 3 mois suivant la date de l'appel alors qu'elles auraient dû l'être dans ce délai.

Pour comprendre cette décision, il faut ici indiquer que depuis quelques années, un appelant doit effectivement conclure dans ce délai de 3 mois suivant son recours. A défaut son appel est caduc.

Cette règle, prévue à l'article 908 du Code de procédure civile, n'est toutefois pas applicable devant les chambres sociales des Cours d'appel amenées normalement à examiner les appels des jugements rendus par les Conseils de prud'hommes.

En l'espèce, l'appel-nullité de la journaliste avait été enrôlé, non pas devant une chambre sociale mais devant une chambre civile. 

Il convenait donc, selon la Cour d'appel, de respecter les règles de procédure applicables devant cette chambre et notamment de conclure dans ce délai de 3 mois.

La solution est sévère. Les règles relatives à la Commission arbitrale des journalistes étant prévues au Code du travail, on aurait pu penser que les chambres sociales de la Cour d'appel auraient été naturellement compétentes pour connaître des recours formés contre les décisions de cette Commission arbitrale.

La Cour d'appel de Paris rappelle toutefois que, en principe, les sentences de la Commission arbitrales ne sont pas susceptibles de recours. Si, par exception, un appel-nullité peut être engagé, cette procédure doit alors suivre, conformément à ce que prévoit l'article 1495 du Code de procédure civile, les règles ordinaires applicables devant les Cours d'appel dans le cadre des contentieux avec représentation obligatoire par un avocat. Le délai de 3 mois devait donc être respecté.

La journaliste forme un pourvoi en cassation. Par arrêt du 15 avril 2015, ce pourvoi est rejeté, la Cour de cassation confirme que le respect du délai de 3 mois pour conclure s'imposait dans le cadre d'un appel nullité d'une sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes. 

Dura lex, sed lex !

Indépendamment de cette question de procédure, cette affaire conduit à une interrogation.

On ne connait pas précisément les raisons pour lesquelles la journaliste, nonobstant le (premier) arrêt de la Cour d'appel qui a retenu qu'elle n'avait pas 15 ans d'ancienneté, est retournée devant la Commission arbitrale puis a formé un appel-nullité à l'encontre de la sentence de cette Commission retenant qu'elle n'était pas compétente mais on peut facilement imaginer que cette journaliste attendait de l'instance arbitrale une analyse différente de celle retenue par la Cour d'appel sur son ancienneté en qualité de journaliste.

On peut également imaginer que cette journaliste soutenait que l'appréciation de la Cour d'appel de Paris sur cette ancienneté ne s'imposait pas à la Commission arbitrale.

De fait, pour quelle raison cette Commission ne pourrait-elle pas, elle-même, apprécier l'ancienneté d'un journaliste afin de déterminer si elle est ou non supérieure à 15 ans ?

La question mérite d'être posée dès lors que, par exemple, lorsqu'il s'agit d'apprécier le montant de l'indemnité d'un journaliste licencié pour faute grave, la Commission arbitrale n'est pas tenue par la décision d'un Conseil de prud'hommes (ou d'une Cour d'appel) et peut donc estimer que la faute grave n'est pas caractérisée même si, en parallèle, une telle qualification du motif du licenciement a été retenue par les juridictions du travail (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Normalement une juridiction est compétente pour apprécier elle-même si elle compétente pour connaître d'un litige. Cette règle devrait donc permettre à la Commission arbitrale (qui est bien une juridiction selon le Conseil constitutionnel) de rechercher si un journaliste a plus ou moins de 15 ans d'ancienneté.

Toutefois, par application des articles L. 1411-1 à L.1411-5 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes a une compétence exclusive pour connaître de tous les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.

Il s'agit d'une règle de compétence d'ordre public et ce n'est donc que par exception que la Commission arbitrale est compétente dans les strictes limites arrêtées par la loi.

C'est en ce sens qu'il y a plus de 50 ans, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 juillet 1961, a retenu "qu'en estimant que la compétence exceptionnelle de la commission des journaliste, instituée pour fixer souverainement, dans des conditions dérogatoires au droit commun, le montant de l'indemnité de licenciement due au journaliste ayant plus de quinze années de service, ne pouvait être étendue à la détermination de l'existence et de la durée du contrat, lorsque celle-ci, comme en l'espèce était en réalité l'objet principal du litige et faisait l'objet d'une contestation sérieuse, l'arrêt attaqué a fait une exacte application des textes".

Bref, il n'est pas de la compétence de la Commission arbitrale de déterminer l'ancienneté du salarié en qualité de journaliste et la décision rendue sur ce point par un Conseil de prud'hommes ou une Cour d'appel s'impose à elle.

On notera toutefois que dans cet arrêt de 1961, la Cour de cassation fait référence à l'existence d'une "contestation sérieuse" sur la durée du contrat de travail. La Commission arbitrale des journalistes devrait donc pouvoir statuer sans attendre une éventuelle saisine d'un Conseil de prud'hommes lorsque la contestation de cette durée par l'employeur est à l'évidence dilatoire.  

En l'espèce, s'agissant de la journaliste initialement embauchée en qualité de directrice artistique c'est moins la durée du contrat de travail lui-même qui était contestée que celle pendant laquelle cette salariée avait eu le statut de journaliste professionnelle.

Cependant, là encore, la compétence dérogatoire de la Commission arbitrale ne devrait pas lui permettre de déterminer qui peut ou non prétendre au statut de journaliste professionnel, cette appréciation incombant d'une part à la Commission de la carte d'identité professionnelle des journalistes lorsqu'il s'agit de délivrer une carte de presse et, d'autre part, aux juridictions du droit du travail lorsqu'il s'agit d'appliquer les règles propres aux salariés relevant de ce statut.