jeudi 21 mai 2015

La Commission arbitrale des journalistes est-elle compétente pour déterminer l'ancienneté d'un journaliste ?

Une salariée embauchée en 1990 invoque en 2008 la clause de cession des journalistes (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Son employeur lui verse alors une indemnité de licenciement équivalente à 14 mois de salaire.

Cette salariée conteste le montant de cette indemnité qui, selon elle, ne tient pas compte de son ancienneté dans la société supérieure à 15 ans.

L'employeur lui répond que si elle était bien journaliste au moment de la rupture du contrat de travail, elle ne l'était pas au moment de son embauche (en qualité de directrice artistique) et qu'elle ne l'est devenue qu'en avril 1994, soit moins de 15 ans avant la date à laquelle elle a invoqué la clause de cession.

La journaliste saisit le Conseil de prud'hommes et, en parallèle, la Commission arbitrale des journalistes.

Cette Commission qui est compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement uniquement lorsque le journaliste a plus de 15 ans d'ancienneté (ou en cas de licenciement pour faute grave, ce qui n'était ici pas le cas) (cf. cette autre publication sur ce sujet), décide de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de prud'hommes.

En juin 2009, le Conseil de prud'hommes juge que la salariée ne peut pas prétendre à une ancienneté en qualité de journaliste professionnelle supérieure à 15 ans.

La Cour d'appel de Paris confirme cette décision et arrête le point de départ de l'ancienneté de la salariée en qualité de journaliste au mois d'avril 1994, ainsi que le soutenait l'employeur.

Le motif qui avait conduit la Commission arbitrale des journalistes a sursoir à statuer ayant disparu, la journaliste décide, nonobstant l'arrêt de la Cour d'appel qui a retenu une ancienneté inferieure à 15 ans, de reprendre la procédure arbitrale.

En novembre 2011, cette Commission arbitrale, après avoir constaté que la Cour d'appel de Paris avait retenu que cette salariée ne pouvait prétendre à une ancienneté supérieure à 15 ans en qualité de journaliste professionnelle, se déclare incompétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement.

La journaliste décide d'interjeter appel de cette décision arbitrale.

Il n'est ici pas inutile de rappeler que, selon les dispositions du dernier alinéa de l'article L7112-4 du Code du travail : "la décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel".

On sait toutefois que nonobstant cette disposition, un appel-nullité reste possible.

Sans rentrer ici dans tous les détails, l'appel-nullité est envisageable précisément lorsqu'aucun recours n'a été prévu par le législateur.

Cette voie de l'appel-nullité est toutefois forcément étroite ; elle concerne surtout les hypothèses où un excès de pouvoir a été commis.

S'agissant de la Commission arbitrale des journalistes, c'est donc principalement lorsqu'elle a statué en dehors de son champ de compétences (délimité par la loi) que des appels-nullité ont été jugés recevables et fondés.

Ainsi saisie par la journaliste, la Cour d'appel de Paris ne s'est toutefois pas prononcée sur le bien-fondé de son appel-nullité.

Ce recours a en effet été jugé irrecevable au motif que les conclusions au soutien de cet appel n'ont pas été signifiées dans un délai de 3 mois suivant la date de l'appel alors qu'elles auraient dû l'être dans ce délai.

Pour comprendre cette décision, il faut ici indiquer que depuis quelques années, un appelant doit effectivement conclure dans ce délai de 3 mois suivant son recours. A défaut son appel est caduc.

Cette règle, prévue à l'article 908 du Code de procédure civile, n'est toutefois pas applicable devant les chambres sociales des Cours d'appel amenées normalement à examiner les appels des jugements rendus par les Conseils de prud'hommes.

En l'espèce, l'appel-nullité de la journaliste avait été enrôlé, non pas devant une chambre sociale mais devant une chambre civile. 

Il convenait donc, selon la Cour d'appel, de respecter les règles de procédure applicables devant cette chambre et notamment de conclure dans ce délai de 3 mois.

La solution est sévère. Les règles relatives à la Commission arbitrale des journalistes étant prévues au Code du travail, on aurait pu penser que les chambres sociales de la Cour d'appel auraient été naturellement compétentes pour connaître des recours formés contre les décisions de cette Commission arbitrale.

La Cour d'appel de Paris rappelle toutefois que, en principe, les sentences de la Commission arbitrales ne sont pas susceptibles de recours. Si, par exception, un appel-nullité peut être engagé, cette procédure doit alors suivre, conformément à ce que prévoit l'article 1495 du Code de procédure civile, les règles ordinaires applicables devant les Cours d'appel dans le cadre des contentieux avec représentation obligatoire par un avocat. Le délai de 3 mois devait donc être respecté.

La journaliste forme un pourvoi en cassation. Par arrêt du 15 avril 2015, ce pourvoi est rejeté, la Cour de cassation confirme que le respect du délai de 3 mois pour conclure s'imposait dans le cadre d'un appel nullité d'une sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes. 

Dura lex, sed lex !

Indépendamment de cette question de procédure, cette affaire conduit à une interrogation.

On ne connait pas précisément les raisons pour lesquelles la journaliste, nonobstant le (premier) arrêt de la Cour d'appel qui a retenu qu'elle n'avait pas 15 ans d'ancienneté, est retournée devant la Commission arbitrale puis a formé un appel-nullité à l'encontre de la sentence de cette Commission retenant qu'elle n'était pas compétente mais on peut facilement imaginer que cette journaliste attendait de l'instance arbitrale une analyse différente de celle retenue par la Cour d'appel sur son ancienneté en qualité de journaliste.

On peut également imaginer que cette journaliste soutenait que l'appréciation de la Cour d'appel de Paris sur cette ancienneté ne s'imposait pas à la Commission arbitrale.

De fait, pour quelle raison cette Commission ne pourrait-elle pas, elle-même, apprécier l'ancienneté d'un journaliste afin de déterminer si elle est ou non supérieure à 15 ans ?

La question mérite d'être posée dès lors que, par exemple, lorsqu'il s'agit d'apprécier le montant de l'indemnité d'un journaliste licencié pour faute grave, la Commission arbitrale n'est pas tenue par la décision d'un Conseil de prud'hommes (ou d'une Cour d'appel) et peut donc estimer que la faute grave n'est pas caractérisée même si, en parallèle, une telle qualification du motif du licenciement a été retenue par les juridictions du travail (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Normalement une juridiction est compétente pour apprécier elle-même si elle compétente pour connaître d'un litige. Cette règle devrait donc permettre à la Commission arbitrale (qui est bien une juridiction selon le Conseil constitutionnel) de rechercher si un journaliste a plus ou moins de 15 ans d'ancienneté.

Toutefois, par application des articles L. 1411-1 à L.1411-5 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes a une compétence exclusive pour connaître de tous les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.

Il s'agit d'une règle de compétence d'ordre public et ce n'est donc que par exception que la Commission arbitrale est compétente dans les strictes limites arrêtées par la loi.

C'est en ce sens qu'il y a plus de 50 ans, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 juillet 1961, a retenu "qu'en estimant que la compétence exceptionnelle de la commission des journaliste, instituée pour fixer souverainement, dans des conditions dérogatoires au droit commun, le montant de l'indemnité de licenciement due au journaliste ayant plus de quinze années de service, ne pouvait être étendue à la détermination de l'existence et de la durée du contrat, lorsque celle-ci, comme en l'espèce était en réalité l'objet principal du litige et faisait l'objet d'une contestation sérieuse, l'arrêt attaqué a fait une exacte application des textes".

Bref, il n'est pas de la compétence de la Commission arbitrale de déterminer l'ancienneté du salarié en qualité de journaliste et la décision rendue sur ce point par un Conseil de prud'hommes ou une Cour d'appel s'impose à elle.

On notera toutefois que dans cet arrêt de 1961, la Cour de cassation fait référence à l'existence d'une "contestation sérieuse" sur la durée du contrat de travail. La Commission arbitrale des journalistes devrait donc pouvoir statuer sans attendre une éventuelle saisine d'un Conseil de prud'hommes lorsque la contestation de cette durée par l'employeur est à l'évidence dilatoire.  

En l'espèce, s'agissant de la journaliste initialement embauchée en qualité de directrice artistique c'est moins la durée du contrat de travail lui-même qui était contestée que celle pendant laquelle cette salariée avait eu le statut de journaliste professionnelle.

Cependant, là encore, la compétence dérogatoire de la Commission arbitrale ne devrait pas lui permettre de déterminer qui peut ou non prétendre au statut de journaliste professionnel, cette appréciation incombant d'une part à la Commission de la carte d'identité professionnelle des journalistes lorsqu'il s'agit de délivrer une carte de presse et, d'autre part, aux juridictions du droit du travail lorsqu'il s'agit d'appliquer les règles propres aux salariés relevant de ce statut. 


mercredi 20 mai 2015

Ce n'est pas parce que l'on n'est pas journaliste professionnel que l'on ne peut pas être salarié

Une Société de presse fait travailler une personne pour une revue qu'elle édite.

Elle lui demande d'écrire des articles et de réaliser des interviews, c'est-à-dire incontestablement des tâches relevant du travail habituellement confié à un journaliste.

En contrepartie, la Société verse à cette personne une rémunération exclusivement sous forme de droits d'auteur.

Evidemment, en ayant recours à un tel mode de paiement, la Société de presse estime que cette personne n'est pas salariée.

Cette collaboration est interrompue à l'initiative de la Société de presse.

L'auteur des articles prend alors acte de la rupture de ce qu'il considère être un contrat de travail et il saisit le Conseil de prud'hommes.

La prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail par un salarié produit les effets d'un licenciement abusif lorsque la juridiction saisie retient que la rupture était justifiée par une faute suffisamment grave imputable à l'employeur. A  défaut, elle produit les effets d'une démission.

La prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail qui n'est pas un contrat de travail n'a toutefois aucun sens et, en l'espèce, avant même de se demander quels effets devait produire cette prise d'acte, il était donc nécessaire de rechercher quelle était la nature juridique du contrat liant les parties : contrat d'auteur ou contrat de travail.

Le Conseil de prud'hommes de Paris, par jugement du 1er décembre 2011, retient que l'auteur des articles avait le statut de journaliste professionnel.

Il bénéficiait de ce fait de la présomption légale de salariat liée à ce statut, telle que prévue à l'article L7112-1 (cf. autre publication sur ce sujet).

La Société de presse est donc condamnée à verser à ce salarié, différentes sommes à titre de rappel de salaires, de congés payés, de primes de 13ème.

En outre, puisque la rupture du contrat de travail de travail était imputable à la Société de presse  - celle-ci avait cessé de faire travailler son salarié sans pour autant le licencier -, le Conseil de prud'hommes juge que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement abusif et la Société de presse est condamnée à payer à ce salarié une indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour rupture abusive.

La Société de presse interjette appel.

Elle soutient que l'auteur des articles ne démontre pas qu'il remplissait les conditions pour prétendre au statut de journaliste professionnel.

De son côté, l'auteur des articles demande à la Cour d'appel de confirmer la décision de première instance qui lui a reconnu le statut de journaliste professionnel et, en toute hypothèse, soutient qu'il a été salarié de l'entreprise de presse.

La Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 26 septembre 2013, infirme en totalité le jugement du Conseil de prud'hommes.

Elle relève que l'auteur des articles ne produit aux débats aucun élément susceptible de démontrer qu'il tirait de ses activités journalistiques l'essentiel de ses revenus.

De ce fait, il ne remplissait pas l'une des conditions prévues à l'article L711-3 du Code du travail pour bénéficier du statut de journaliste professionnel (cf. cette autre publication sur ce sujet).

La Cour d'appel en déduit que, n'étant pas journaliste professionnel, l'auteur des  articles ne peut pas bénéficier de la présomption de salariat et elle déboute l'auteur des articles de l'ensemble de ses demandes fondées sur l'existence d'une relation de nature salariale.

Un pourvoi en cassation est formé.

Par arrêt du 6 mai 2015, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Paris.

Elle reproche à la Cour d'appel de Paris de s'être déterminée ainsi sans rechercher si l'auteur des articles n'était pas lié à l'entreprise de presse par un contrat de travail.

En effet, l'auteur des articles soutenait dans ses conclusions d'appel qu'il était, de toutes les façons, salarié de la Société de presse.

Or, évidemment, on peut être salarié sans être journaliste professionnel.

En d'autres termes, une personne qui effectue un travail de journaliste mais qui ne peut pas prétendre au statut de journaliste professionnel (par exemple parce qu'elle tire l'essentiel de ses revenus d'autres activités, non journalistiques) peut tout de même être liée à une entreprise de presse par un contrat de travail.

Ce n'est pas parce que l'on ne peut pas invoquer une présomption de salariat que l'on ne peut pas démontrer un lien de subordination, susceptible de caractériser l'existence d'un contrat de travail.

On ne pas déduire automatiquement du fait qu'une personne qui accomplit un travail de journaliste mais qui n'a pas le statut de journaliste professionnel qu'elle n'est pas salariée.

La Cour d'appel de renvoi devra donc ici se demander si l'auteur des articles apporte ou non la preuve d'un tel lien de subordination.

La présomption de salariat liée au statut de journaliste professionnel est un avantage indéniable pour le journaliste puisqu'il appartient à celui qui conteste l'existence d'un contrat de travail de démontrer l'absence du lien de subordination.

Sauf à dénaturer le sens de ce cette présomption, elle ne peut pas conduire à exclure automatiquement du statut de salarié celui qui, effectuant des tâches journalistes, ne remplit pas les conditions légales pour prétendre au statut de journaliste professionnel.



mardi 19 mai 2015

Une société de presse peut-elle, avant publication, modifier un article sans l'accord du journaliste qui en est l'auteur ?

Un journaliste est amené à créer, dans le cadre de l'exercice de sa profession et souvent en exécution de son contrat de travail, des œuvres de l'esprit (articles, photographies, reportages audiovisuels…).

Si elles sont originales au sens du droit de la propriété intellectuelle (c'est-à-dire si elles portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur), ces œuvres bénéficient de la protection du droit d'auteur.

Le journaliste peut alors prétendre être titulaire des droits patrimoniaux d'auteur et, à ce titre, s'opposer (sauf exceptions) aux reproductions et représentations non autorisées de ses œuvres par des tiers. 

La loi HADOPI du 12 juin 2009 a toutefois instauré une cession automatique de ces droits patrimoniaux - pour leurs principales exploitations en tout cas - aux Sociétés de presse employeurs de journalistes. Ces derniers ont donc largement été dépossédés de leurs droits d'auteur au profit de leurs employeurs.

En outre, une publication de presse est assez régulièrement qualifiée d'œuvre collective au sens de l’article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire une œuvre  "créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé".

Or, selon l'article L113-5 du Code de la propriété intellectuelle "l'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur".

La Société de presse qui édite une œuvre collective peut donc prétendre être seule titulaire des droits d'exploitation des articles et autres œuvres de l'esprits originales créés par les journalistes qui ont contribué à cette oeuvre collective. 

L'auteur d'une oeuvre originale est toutefois également investi du droit moral sur cette œuvre. 

Selon l'article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit moral comprend principalement le droit au respect du nom de l'auteur, de sa qualité et de son oeuvre.

Or, à la différence des droits patrimoniaux d'auteur, ce droit moral est attaché à la personne de l'auteur. Il a la particularité d'être perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 février 2015 a été l'occasion d'examiner dans quelles conditions un journaliste professionnel peut opposer son droit moral d'auteur à une société de presse.   

Une journaliste reprochait à une Société éditrice d'avoir modifié, avant publication, un certain nombre d'articles qu'elle avait écrits et ce sans qu'elle soit consultée et, a fortiori, sans qu'elle ait donné son autorisation sur ces modifications. 

Après avoir été déboutée de ses demandes par le Tribunal de grande instance (et même condamnée à verser à la Société de presse une indemnité pour procédure abusive), cette journaliste avait saisi la Cour d'appel de Paris. 

Elle soutenait - une fois n'est pas coutume -  qu'étant payée à la pige, elle n'était pas salariée de cette Société de presse mais liée avec elle par un contrat d'entreprise ce qui, selon elle, ne permettait pas à cette Société de modifier ses textes sans son accord.

N'étant pas salariée, ses articles ne pouvaient en effet pas s'intégrer dans une œuvre collective qui, toujours selon elle, peut seule "recevoir des aménagements nécessités par l'harmonisation des différentes publications".

Elle en déduisait que Société de presse avait porté atteinte à son droit moral d'auteur. 

Puisqu'elle y était invitée, dans son arrêt du 13 février 2015, la Cour d'appel s'est donc intéressée tout d'abord à la nature du contrat liant cette journaliste à la Société de presse et à la qualification du support (le magazine) dans lequel avaient été publiés les articles modifiés.  

On comprend cependant mal pourquoi la journaliste insistait tant sur le fait qu'elle n'était pas salariée.

L'auteur d'une œuvre de l'esprit originale, qu'il soit ou non salarié, est titulaire du droit moral sur son œuvre. 

La reconnaissance d'un droit moral d'auteur ne dépend en effet pas du statut de salarié mais uniquement du statut d'auteur et la loi HADOPI n'a pas confisqué ce droit moral aux journalistes salariés, auteurs d'œuvres originales. 

Bref, le journaliste salarié détient le même droit moral sur ses œuvres de l'esprit que le journaliste non salarié. 

La Cour d'appel estime ensuite, puisqu'elle était également invitée à se prononcer sur ce point, que la revue dans laquelle les articles de la journaliste ont été publiés doit recevoir la qualification d'œuvre collective au sens  l'article L 113-2 aliéna 3 du Code de la propriété intellectuelle.

L'intérêt d'une telle qualification de l'oeuvre est grand pour la Société de presse puisque, comme rappelé ci-dessus, par application des dispositions de l'article L113-5 du Code de la propriété intellectuelle elle peut prétendre être titulaire des droits d'exploitation des articles.
La question ici posée portait toutefois sur le droit moral de l'auteur. 

Par un arrêt du 22 mars 2012 la première chambre civile de la Cour de Cassation a retenu que  "la personne physique ou morale à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral".

Cette qualification d'œuvre collective serait donc susceptible de priver le journaliste de son droit moral et ce serait donc la Société de presse – personne morale – qui en serait investie ab initio.

En l'espèce, la Cour d'appel de Paris adopte a priori une conception qui peut sembler moins radicale puisqu'elle considère que cette qualification d'œuvre collective "n'a pas pour effet de priver les contributeurs justifiant d'une oeuvre identifiable de tout droit sur celle-ci".

Plus précisément, la Cour d'appel de Paris retient qu' "il y a lieu de considérer que si le promoteur de l'œuvre collective qui encadre la liberté des auteurs et exerce un rôle de direction peut exercer un contrôle sur les textes à publier au regard de l'orientation du journal et de l'objectif recherché par celui-ci, ces limites ne sauraient justifier des modifications de l'écrit original dénaturant le style et l'esprit de son œuvre".

Elle reconnaît donc que même lorsque le magazine en question est qualifié d'œuvre collective, les différents contributeurs à cette œuvre – et donc principalement les journalistes - ont un droit au respect de leurs articles publiés ce magazine. 

De fait, la Cour d'appel recherche ensuite si les modifications apportées par la Société de presse aux articles de la journaliste sans son autorisation ont ou non porté atteinte à son droit moral d'auteur ou s'il s'agissait simplement de "corrections grammaticales et syntaxiques, ou de la simple application de règles typographiques propres au secteur de la presse, ou encore de corrections d'informations historiques erronées, ou enfin d'un allègement et d'une fluidification du style" présentant "un caractère justifié et proportionné".

Après avoir procédé à une analyse des différentes modifications apportées aux articles de la journaliste par la Société de presse, la Cour d'appel retient ici qu'aucune modification substantielle n'a été effectuée et que ces modifications mineures n'ont dénaturé l'esprit ou le style des articles.

La journaliste est donc déboutée de ses demandes. 

Les enseignements à tirer de cet arrêt sont importants.

Tout d'abord, la Cour d'appel de Paris affirme que, quelque soit la nature juridique de la revue dans laquelle sont publiés les articles du journaliste, celui-ci reste titulaire du droit moral d'auteur sur ses œuvres (à condition dit-elle qu'elles soient "identifiables" ce qui peut paraître un peu contradictoire avec la notion même d'œuvre collective pourtant retenue).  

Le journaliste est en donc en droit d'interdire les modifications de ses articles dès lors que ces modifications dépassent les limites admises par la Cour, c'est-à-dire les corrections mineures de style ou d'erreur qui ne dénaturent pas le texte initial. 

La règle de droit étant posée, il reste à la Société de presse à apprécier, au cas par cas, celles des modifications qui doivent ou non être autorisées avant publication par le "journaliste auteur".

Cette solution est évidemment transposable à d'autres œuvres de l'esprit. 

Par exemple, une photographie ne devrait pas être recadrée avant publication sans l'accord de son auteur, même s'il est journaliste salarié. 

De telles règles ne peuvent qu'être approuvées.


En effet, dès lors que le nom de l'auteur d'un article de presse est porté à la connaissance des lecteurs, on ne peut pas imaginer que cet article soit réécrit ou transformé sans l'accord de cet auteur auquel l'article est inévitablement associé.