L'employeur d'un journaliste
professionnel est tenu, en application des dispositions des articles 23
et 24 de la convention collective nationale des journalistes, de lui
verser une prime dite d'ancienneté calculée en fonction de son
ancienneté dans la profession et de son ancienneté dans la société (cf. cette autre publication sur ce point)
La société de presse qui s'abstient de régler, en temps et
heure (c'est-à-dire chaque mois), cette prime d'ancienneté s'expose donc
évidemment à être condamnée à la payer au journaliste et ce dans la
limite de la prescription. Elle devra également lui remettre des
bulletins de paye rectifiés.
Mais l'employeur fautif prend également d'autres risques auxquels il ne pense a priori pas forcément.
D'abord, en plus des primes d'ancienneté impayées, il est
susceptible d'être condamné à payer des dommages-intérêts à son salarié.
C'est ce que vient de juger la Cour d'appel de Paris.
Dans un arrêt du 13 décembre 2011, après avoir estimé que :
- le non-respect par l'employeur des engagements conventionnels à l'égard du journaliste (en l'espèce il s'agissait d'un photographe reporter payé à la pige) s'inscrivait dans le cadre de nombreux litiges ayant le même objet opposant ou ayant opposé le même employeur (importante société de presse) à un certain nombre de ses salariés pigistes ;
- ce non paiement de la prime d'ancienneté avait occasionné au journaliste un préjudice "lié aux démarches, tracas et aléas inhérents à toute procédure judiciaire " dont la réparation excédait en conséquence son seul rétablissement dans ses droits aux primes d'ancienneté ;
les juges ont condamné l'employeur à payer à son pigiste une
somme supplémentaire de 3000 euros à titre de dommages-intérêts.
Mais l'employeur qui ne paye pas la prime d'ancienneté due à
un journaliste s'expose à devoir subir des conséquences encore plus
lourdes.
En effet, le journaliste peut, en raison du défaut de paiement
de la prime d'ancienneté, prendre acte de la rupture de son contrat de
travail aux torts de son employeur.
L'on sait que, à la suite d'une prise d'acte de la rupture du
contrat de travail, la juridiction saisie doit déterminer si les faits
reprochés par le salarié à son employeur justifiaient ou non cette prise
d'acte. Selon la décision rendue par les juges, la rupture produira
soit les effets d'un licenciement abusif, soit ceux d'une démission.
La faute reprochée par le salarié doit être d'une gravité
suffisante s'il souhaite que la cause de la rupture du contrat soit
imputée à son employeur.
Dans un arrêt du 25 octobre 2011 (frappé d'un pourvoi), la
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, a infirmé le jugement rendu en première
instance par un Conseil de prud'hommes qui avait retenu que le défaut de
paiement d'une prime d'ancienneté à un journaliste ne constituait pas
un motif suffisamment grave justifiant que la prise d'acte de la rupture
de son contrat de travail produise les effets d'un licenciement abusif.
Dans cette affaire, les premiers juges s'étaient montrés
sensibles au fait que l'agence de presse avait, après la prise d'acte de
la rupture du contrat par son salarié, reconnu être débitrice envers
lui d'une prime d'ancienneté tout en demandant au Conseil de prud'hommes
d'en déterminer le montant exact.
Mais la Cour d'appel, fort logiquement, rejette cet argument.
C'est bien le comportement de l'employeur antérieur à la
rupture de son contrat de travail qui doit être apprécié. Or, en
s'abstenant notamment de régler la moindre prime d'ancienneté à un
journaliste professionnel employé par elle en cette qualité depuis13
ans, la Société a commis un manquement suffisamment grave pour justifier
la prise d'acte de la rupture du contrat de travail à l'initiative de
ce salarié.
La Société de presse est donc condamnée à payer à cet ancien
salarié, outre évidemment un rappel de primes d'ancienneté, une
indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis ainsi
que des dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Les économies réalisées par les Sociétés de presse qui
s'abstiennent de payer aux journalistes la prime d'ancienneté à laquelle
ils sont en droit de prétendre peuvent donc se retourner contre ces
Sociétés et s'avérer lourdes de conséquences
Vianney FÉRAUDAvocat au barreau de Paris
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