mardi 8 octobre 2013

L'indépendance éditoriale de la publication, une condition pour la reconnaissance du statut de journaliste professionnel

L'ancien article L761-2 du Code du travail disposait que "le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources".

Les publications auxquelles il est fait référence par texte ne se limitent évidemment pas à celles qui sont imprimées, cette notion recouvre également les oeuvres audiovisuelles et celles diffusées par voie électronique.

Au visa de cet article L761-2, la Cour de cassation considérait que, pour prétendre au statut de journaliste professionnel, une personne devait travailler dans une (ou plusieurs) agence(s) de presse ou société(s) de presse.

"Les publications quotidiennes ou périodiques" ne pouvaient en effet, selon cette Cour, s'entendre que comme celles éditées par une société de presse, c'est-à-dire une société dont l'activité principale est la presse.

Par exemple, dans un arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a jugé qu'une personne qui collaborait à un magazine édité par un syndicat professionnel ne pouvait relever du statut de journaliste professionnel "peu important qu'une carte de journaliste professionnel lui ait été remise ou qu'un numéro ait été attribué à la revue par la commission paritaire des publications et des agences de presse" dès lors que ce syndicat professionnel "n'était pas une entreprise de journaux ou périodiques".

Cette jurisprudence n'était pas celle du Conseil d'état qui considère qu'une personne peut se voir délivrer une carte de journaliste professionnel même si elle collabore à une entreprise qui n'est ni une agence de presse, ni une société de presse. Par exemple, dans un arrêt du 22 juin 2001, le Conseil d'état a jugé que la "reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel n'est pas nécessairement subordonnée à la condition que l'activité soit exercée au sein d'une entreprise de presse".

En 2008, lors de la refonte du Code du travail, l'article L761-2 a été abrogé et la définition du journaliste professionnel est désormais donnée par l'article L7111-3.

Ce texte dispose que "toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources".

A donc été ajoutée une référence directe à "une ou plusieurs entreprises de presse", ce qui apparaît conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Mais cet article L.7111-3 a aussi maintenu la référence aux "publications quotidiennes et périodiques" de l'ancien article L761-2 du Code du travail.

Or on peut penser que si, en 2008, le législateur avait voulu réserver aux personnes collaborant aux sociétés de presse ou aux agences de presse la possibilité de prétendre au statut de journaliste professionnel, il n'aurait pas repris cette référence aux "publications quotidiennes et périodiques" que la Cour de cassation considérait alors comme ne pouvant en fait que viser celles éditées par les sociétés de presse.

On pouvait donc se demander s'il n'y avait pas désormais non plus 2 mais 3 cas dans lesquels une personne peut prétendre au statut de journaliste professionnel.

En d'autres termes, la question qui était posée à la suite de la réécriture du texte légal sur la définition du journaliste était : est-ce qu'une personne qui collabore à une publication quotidienne et périodique éditée par une entreprise qui n'est ni une agence de presse ni une société de presse peut néanmoins bénéficier du statut de journaliste professionnel ?

Dans un arrêt du 5 avril 2012, la Cour d'appel de Paris a répondu par l'affirmative en reconnaissant le statut de journaliste professionnel à un salarié, tout en relevant pourtant expressément que son employeur n'était "pas une entreprise de presse ni une agence de presse".

La Cour d'appel, dans cet arrêt, a constaté que le salarié contribuait à la réalisation d'une "revue périodique qui publie des articles relatifs aux films à paraître sur les écrans du distributeur". Elle a précisé qu'il importait peu "à cet égard que ces articles soient dans l'ensemble plutôt élogieux et qu'ils présentent une vocation publicitaire et commerciale".

Dans un arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation estime également que "dans le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue".

On ne peut être plus clair.

Une condition à cette reconnaissance est toutefois posée par la Cour de cassation puisqu'elle précise que cette qualité de journaliste professionnel peut être reconnue si la personne exerce son activité "dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale" .

Il s'agit d'une condition (non définie au demeurant) qui n'est prévue par aucun texte. Elle est donc créée de toute pièce par la Cour de cassation.

Il appartiendra maintenant aux juges du fond de rechercher, au cas par cas, si la publication à laquelle collabore celui qui prétend au statut de journaliste dispose ou non de cette indépendance éditoriale. On peut penser que cette indépendance éditoriale s'analyse comme la possibilité pour une rédaction de travailler sans interférence du propriétaire de cette publication (les actionnaires de l'entreprise de presse par exemple) ou de tiers (annonceurs, groupes de pression...) dans le contenu des articles.

On sait que le journaliste a le droit de prétendre, dans l'exercice de sa profession, au maintien d'une certaine autonomie et indépendance et qu'à défaut il est en droit d'invoquer la clause de conscience (voir cette autre publication sur ce sujet). Celui qui, dès le début de sa collaboration à une publication, ne dispose pas de cette indépendance et de cette autonomie ne pourra que difficilement, par la suite, invoquer un "changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux". Bref, en poussant ce rapprochement sans doute un peu trop loin, on peut estimer que si une personne ne peut pas, quoi qu'il arrive, invoquer la clause de conscience des journalistes c'est précisément parce qu'elle n'est pas journaliste (exception faîte des journalistes employés par des agences de presse qui eux ne bénéficient pas de la clause de cession ou de conscience) ...

En l'espèce, la Cour de cassation casse l'arrêt objet du pourvoi qui avait été rendu par la Cour d'appel de Paris le 16 février 2012.

La Cour d'appel, pour reconnaître le statut de journaliste professionnel au salarié, avait pourtant relevé que la revue à laquelle il collaborait "peut être classée dans la catégorie générale de la presse d'information", "que l'examen de la maquette de cette même revue ne permet pas de considérer qu'il ne s'agirait que d'un journal, vecteur médiatique du mouvement syndical qu'elle incarne, dans la mesure où y sont publiés des articles de fond sur l'art de la céramique - présentation des créations, informations générales -, publication non réservée aux seuls artisans professionnels puisque s'adressant à un large public par abonnement".

Constats insuffisants selon la Cour de cassation qui estime qu'"en se déterminant ainsi, sans qu'il résulte de ses constatations que la salariée exerçait son activité dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

Cet arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2013 est assurément une évolution en ce qu'il ouvre clairement aux salariés employés par des entreprises qui ne sont pas des sociétés de presse ou des agences de presse, la possibilité de prétendre au statut de journaliste professionnel pour l'application des règles du droit du travail propres à ce statut.

Dans un arrêt du 20 janvier 2016, la Cour de cassation a confirmé clairement cette jurisprudence en cassant un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait reconnu le statut de journaliste professionnel à un salarié qui ne travaillait ni dans une entreprise de presse ni dans une agence de presse mais qui effectuait bien, selon elle, un travail de journaliste pour des publications éditées par son employeur (une société de communication audiovisuelle). La Cour de cassation a reproché à cette Cour d'appel de n'avoir pas recherché "si les publications auxquelles était affectée la salariée disposaient d'une indépendance éditoriale".

Si la jurisprudence de la Cour de cassation se rapproche ainsi de celle du Conseil d'état, l'harmonisation entre la jurisprudence administrative et judiciaire n'est pas parfaite car la condition "d'indépendance éditoriale" posée par la Cour de cassation n'est pas retenue par le Conseil d'état.

Il n'est donc pas certain que la règle fixée par la Cour de cassation dans cet arrêt du 25 septembre 2013 mette un terme à la situation difficilement compréhensible puisqu'une personne peut être titulaire d'une carte de journaliste professionnel car répondant, selon la juridiction administrative, aux conditions posées par l'article L7111-3 du Code du travail tout en se voyant refuser ce statut par les juridictions judiciaires du travail au motif qu'elle ne respecte pas les conditions posées par ce même article L7111-3 (cf. cette autre publication sur ce point).