L'ancien article L761-2 du Code du travail disposait que "le
journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale,
régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs
publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs
agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources".
Les publications auxquelles il est fait référence par texte ne se
limitent évidemment pas à celles qui sont imprimées, cette notion
recouvre également les oeuvres audiovisuelles et celles diffusées par
voie électronique.
Au visa de cet article L761-2, la Cour de cassation
considérait que, pour prétendre au statut de journaliste professionnel,
une personne devait travailler dans une (ou plusieurs) agence(s) de
presse ou société(s) de presse.
"Les publications quotidiennes ou périodiques"
ne pouvaient en effet, selon cette Cour, s'entendre que comme celles
éditées par une société de presse, c'est-à-dire une société dont
l'activité principale est la presse.
Par exemple, dans un arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de
cassation a jugé qu'une personne qui collaborait à un magazine édité par
un syndicat professionnel ne pouvait relever du statut de journaliste
professionnel "peu important qu'une carte de journaliste
professionnel lui ait été remise ou qu'un numéro ait été attribué à la
revue par la commission paritaire des publications et des agences de
presse" dès lors que ce syndicat professionnel "n'était pas une entreprise de journaux ou périodiques".
Cette jurisprudence n'était pas celle du Conseil d'état qui
considère qu'une personne peut se voir délivrer une carte de journaliste
professionnel même si elle collabore à une entreprise qui n'est ni une
agence de presse, ni une société de presse. Par exemple, dans un arrêt
du 22 juin 2001, le Conseil d'état a jugé que la "reconnaissance de
la qualité de journaliste professionnel n'est pas nécessairement
subordonnée à la condition que l'activité soit exercée au sein d'une
entreprise de presse".
En 2008, lors de la refonte du Code du travail, l'article
L761-2 a été abrogé et la définition du journaliste professionnel est
désormais donnée par l'article L7111-3.
Ce texte dispose que "toute
personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée,
l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse,
publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en
tire le principal de ses ressources".
A donc été ajoutée une référence directe à "une ou plusieurs entreprises de presse", ce qui apparaît conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Mais cet article L.7111-3 a aussi maintenu la référence aux "publications quotidiennes et périodiques" de l'ancien article L761-2 du Code du travail.
Or on peut penser que si, en 2008, le législateur avait
voulu réserver aux personnes collaborant aux sociétés de presse ou aux
agences de presse la possibilité de prétendre au statut de journaliste
professionnel, il n'aurait pas repris cette référence aux "publications quotidiennes et périodiques"
que la Cour de cassation considérait alors comme ne pouvant en fait que
viser celles éditées par les sociétés de presse.
On pouvait donc se demander s'il n'y avait pas désormais non
plus 2 mais 3 cas dans lesquels une personne peut prétendre au statut
de journaliste professionnel.
En d'autres termes, la question qui était posée à la suite
de la réécriture du texte légal sur la définition du journaliste était :
est-ce qu'une personne qui collabore à une publication quotidienne et
périodique éditée par une entreprise qui n'est ni une agence de presse
ni une société de presse peut néanmoins bénéficier du statut de
journaliste professionnel ?
Dans un arrêt du 5 avril 2012, la Cour d'appel de Paris a
répondu par l'affirmative en reconnaissant le statut de journaliste
professionnel à un salarié, tout en relevant pourtant expressément que
son employeur n'était "pas une entreprise de presse ni une agence de presse".
La Cour d'appel, dans cet arrêt, a constaté que le salarié contribuait à la réalisation d'une "revue périodique qui publie des articles relatifs aux films à paraître sur les écrans du distributeur". Elle a précisé qu'il importait peu "à
cet égard que ces articles soient dans l'ensemble plutôt élogieux et
qu'ils présentent une vocation publicitaire et commerciale".
Dans un arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation estime également que "dans
le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence
de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue".
On ne peut être plus clair.
Une condition à cette reconnaissance est toutefois posée par
la Cour de cassation puisqu'elle précise que cette qualité de
journaliste professionnel peut être reconnue si la personne exerce son
activité "dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale" .
Il s'agit d'une condition (non définie au demeurant) qui
n'est prévue par aucun texte. Elle est donc créée de toute pièce par la
Cour de cassation.
Il appartiendra maintenant aux juges du fond de rechercher,
au cas par cas, si la publication à laquelle collabore celui qui
prétend au statut de journaliste dispose ou non de cette indépendance
éditoriale. On peut penser que cette indépendance éditoriale s'analyse
comme la possibilité pour une rédaction de travailler sans interférence
du propriétaire de cette publication (les actionnaires de l'entreprise
de presse par exemple) ou de tiers (annonceurs, groupes de pression...)
dans le contenu des articles.
On sait que le journaliste a le droit de prétendre, dans l'exercice
de sa profession, au maintien d'une certaine autonomie et indépendance
et qu'à défaut il est en droit d'invoquer la clause de conscience (voir cette autre publication sur ce sujet).
Celui qui, dès le début de sa collaboration à une publication, ne
dispose pas de cette indépendance et de cette autonomie ne pourra que
difficilement, par la suite, invoquer un "changement notable dans le
caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement
crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son
honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts
moraux". Bref, en poussant ce rapprochement sans doute un peu trop
loin, on peut estimer que si une personne ne peut pas, quoi qu'il
arrive, invoquer la clause de conscience des journalistes c'est
précisément parce qu'elle n'est pas journaliste (exception faîte des
journalistes employés par des agences de presse qui eux ne bénéficient
pas de la clause de cession ou de conscience) ...
En l'espèce, la Cour de cassation casse l'arrêt objet du
pourvoi qui avait été rendu par la Cour d'appel de Paris le 16 février
2012.
La Cour d'appel, pour reconnaître le statut de journaliste
professionnel au salarié, avait pourtant relevé que la revue à laquelle
il collaborait "peut être classée dans la catégorie générale de la presse d'information", "que
l'examen de la maquette de cette même revue ne permet pas de considérer
qu'il ne s'agirait que d'un journal, vecteur médiatique du mouvement
syndical qu'elle incarne, dans la mesure où y sont publiés des articles
de fond sur l'art de la céramique - présentation des créations,
informations générales -, publication non réservée aux seuls artisans
professionnels puisque s'adressant à un large public par abonnement".
Constats insuffisants selon la Cour de cassation qui estime qu'"en
se déterminant ainsi, sans qu'il résulte de ses constatations que la
salariée exerçait son activité dans une publication de presse disposant
d'une indépendance éditoriale, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale".
Cet arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2013 est
assurément une évolution en ce qu'il ouvre clairement aux salariés
employés par des entreprises qui ne sont pas des sociétés de presse ou
des agences de presse, la possibilité de prétendre au statut de
journaliste professionnel pour l'application des règles du droit du
travail propres à ce statut.
Dans un arrêt du 20 janvier 2016, la Cour de cassation a confirmé clairement cette jurisprudence en cassant un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait reconnu le statut de journaliste professionnel à un salarié qui ne travaillait ni dans une entreprise de presse ni dans une agence de presse mais qui effectuait bien, selon elle, un travail de journaliste pour des publications éditées par son employeur (une société de communication audiovisuelle). La Cour de cassation a reproché à cette Cour d'appel de n'avoir pas recherché "si les publications auxquelles était affectée la salariée disposaient d'une indépendance éditoriale".
Dans un arrêt du 20 janvier 2016, la Cour de cassation a confirmé clairement cette jurisprudence en cassant un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait reconnu le statut de journaliste professionnel à un salarié qui ne travaillait ni dans une entreprise de presse ni dans une agence de presse mais qui effectuait bien, selon elle, un travail de journaliste pour des publications éditées par son employeur (une société de communication audiovisuelle). La Cour de cassation a reproché à cette Cour d'appel de n'avoir pas recherché "si les publications auxquelles était affectée la salariée disposaient d'une indépendance éditoriale".
Si la jurisprudence de la Cour de cassation se rapproche
ainsi de celle du Conseil d'état, l'harmonisation entre la jurisprudence
administrative et judiciaire n'est pas parfaite car la condition
"d'indépendance éditoriale" posée par la Cour de cassation n'est pas
retenue par le Conseil d'état.
Il n'est donc pas certain que la règle fixée par la Cour de
cassation dans cet arrêt du 25 septembre 2013 mette un terme à la
situation difficilement compréhensible puisqu'une personne peut être
titulaire d'une carte de journaliste professionnel car répondant, selon
la juridiction administrative, aux conditions posées par l'article
L7111-3 du Code du travail tout en se voyant refuser ce statut par les
juridictions judiciaires du travail au motif qu'elle ne respecte pas les
conditions posées par ce même article L7111-3 (cf. cette autre publication sur ce point).