Par un arrêt du 13 avril 2016 (n°11-28713), la chambre
sociale de Cour de cassation a été amenée à s'intéresser aux journalistes
professionnels employés par une agence de presse.
Un photographe-reporter, titulaire d'une carte de
presse, travaillait pour une agence photo.
Aucun contrat écrit ne lui avait été remis mais, payé à la pige, il recevait chaque mois des bulletins de paye.
Aucun contrat écrit ne lui avait été remis mais, payé à la pige, il recevait chaque mois des bulletins de paye.
En raison d'un certain nombre d'irrégularités
constatées dans l'exécution du contrat de travail, il prend acte de la rupture de
ce contrat et il se tourne vers les juridictions du travail.
Après un jugement rendu par le conseil de prud'hommes
de Fréjus qui, tout en condamnant l'agence de presse à un rappel de primes
d'anciennetés qui n'avaient jamais été payées estime que la rupture du contrat de
travail doit produire les effets d'une démission, la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence est saisie par le journaliste.
L'agence de presse soutient alors que, même si elle lui a
remis des bulletins de paye, elle n'a pas été liée avec ce journaliste par un
contrat de travail et surtout que celui-ci ne peut pas prétendre au bénéfice de
la présomption de salariat prévue à l'article L.7112-1 du Code du
travail.
Selon cet article L7112-1, dont la rédaction est issue
de la loi Cressard, "toute convention par laquelle une entreprise de
presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste
professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de
la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les
parties"
Or, pour l'agence de presse en question, puisque ce
texte ne vise que les conventions passées entre un journaliste et une "entreprise
de presse" et non pas expressément les agences de presse, la présomption
de salariat ne lui est pas applicable.
Etrangement, à quelques exceptions près, cette
question n'a pas donné lieu à de vraies discussions pendant de nombreuses
années et si l'on relève un certain nombre de décisions – notamment de la Cour
de cassation - qui ont appliqué la présomption de salariat à des journalistes
employés par des agences de presse, on constate également que ces mêmes agences
ne contestaient pas que cette présomption pouvaient bénéficier aux journalistes
travaillant pour elles.
Une circulaire n°DSS/5B/2008/344 du 25 novembre 2008
relative au régime d'affiliation des reporters photographes journalistes
professionnels évoquait le sujet en concluant qu'"il n’apparaît pas que
le législateur ait entendu écarter de la présomption de salariat précédemment
évoquée les journalistes professionnels travaillant pour des agences de
presse".
Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence,
dans un arrêt 25 octobre 2011, n'a pas fait pas droit aux prétentions de
cette agence de presse en considérant que la présomption de salariat pouvait
bénéficier au photographe-reporter. Elle a également jugé que cette présomption
simple (c'est-à-dire supportant la preuve contraire) n'était, en l'espèce, pas
renversée par l'employeur.
L'agence de presse était donc bien liée avec le
journaliste par un contrat de travail.
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a estimé par ailleurs
que les fautes commises dans le cadre de l'exécution du contrat de travail
justifiaient la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le
journaliste et cette agence est condamnée à lui payer diverses sommes dont une
indemnité de licenciement de 13 mois, l'ancienneté du salarié étant de 12
années et quelques mois.
Un pourvoi en cassation est formé par l'agence de
presse.
Dans son arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation
confirme tout d'abord l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en
considérant que "la présomption de salariat prévue par l'article
L7112-1 du Code du travail s'applique à une convention liant un journaliste
professionnel à une agence de presse".
La règle est donc claire et la Cour de cassation
n'entend pas faire de distinction en raison de l'activité des employeurs de
journalistes lorsqu'il s'agit d'appliquer cette présomption légale de salariat.
La Cour de cassation approuve également la décision de
la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait estimé que la présomption de
salariat de ce journaliste n'était pas renversée par cette agence de presse
celui-ci ne jouissant pas d'une "totale liberté".
En revanche, et c'est beaucoup plus surprenant, dans ce même arrêt du 13 avril 2016, la
Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en ce
qu'il avait condamné l'agence de presse à payer au journaliste une indemnité de
licenciement d'un montant égal à un mois par année ou fraction d'année
d'ancienneté.
Une telle indemnité de licenciement résulte de
l'application des termes de l'article L7112-3 du Code du travail selon lesquels
:
"Si l'employeur est à l'initiative de la rupture,
le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme
représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des
derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze".
Ce texte est situé dans la septième partie, livre 1er,
titre 1er, chapitre 2, section 2 du Code du travail, c'est-à-dire
dans la section consacrée à la rupture du contrat de travail des journalistes professionnels.
Pour bien comprendre le raisonnement suivi par la Cour
de cassation, il faut également ici citer l'article qui, dans cette section,
précède cet article L7112-3.
L'article L7112-2 dispose que :
"Dans les entreprises
de journaux et périodiques, en cas de rupture par l'une ou l'autre des parties
du contrat de travail à durée indéterminée d'un journaliste professionnel, la
durée du préavis, sous réserve du 3° de l'article L.
7112-5, est fixée à :
1° Un mois pour une ancienneté inférieure ou égale à
trois ans ;
2° Deux mois pour une ancienneté supérieure à trois
ans.
Toutefois, lorsque la rupture est à l'initiative de
l'employeur et que le salarié a une ancienneté de plus de deux ans et de moins
de trois ans, celui-ci bénéficie du préavis prévu au 3° de l'article
L. 1234-1"
C'est en effet au visa de ces deux articles que la
Cour de cassation estime dans son arrêt du 13 avril 2016 "qu'il résulte
de l'article L7112-2 du Code du travail que seules les personnes mentionnées à
l'article L7111-3 [c'est-à-dire les journalistes professionnels employés
dans "une ou plusieurs entreprises de presse, publications
quotidiennes et périodiques ou agences de presse"] et
liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques
peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article
L7112-3".
La Cour de cassation en conclut que la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence a violé ces textes en condamnant l'agence de presse à payer
au journaliste une indemnité de licenciement égale à un mois par année ou
fraction d'année d'ancienneté.
Il s'agit là d'une analyse pour le moins audacieuse
des textes de loi.
On savait, depuis un arrêt de la Cour de cassation du
6 février 2001, que le bénéfice des dispositions de l'article L7112-2 du Code
du travail (à l'époque il s'agissait de l'article 767-7 du Code du travail)
relatives à la clause de cession est réservé aux journalistes qui travaillent
dans des "entreprises de journaux et périodiques" à
l'exclusion de ceux qui sont employés par des agences de presse. Cette
jurisprudence pouvait se comprendre par les termes de la loi qui font
expressément référence à une "cession du journal ou du périodique".
En revanche, en limitant aux seuls journalises
employés par une "entreprise de journaux et périodiques" le
bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L7112-3
du Code du travail, la Cour de cassation se livre à une interprétation
particulièrement restrictive de la notion d'"employeur", retenue par
ce texte !
On aura compris que, pour motiver cette analyse, la
Cour de cassation procède à une jonction de ce texte avec celui qui le précède
dans le Code du travail.
Cet article L7112-2 ne traite pourtant a priori que de la durée du
préavis des journalistes effectivement employés par les seules "entreprises
de journaux et périodiques" mais la Cour de
cassation semble considérer que parce que l'article L7112-3 suit ce texte il en
conserve automatiquement le champ d'application et ce nonobstant l'emploi par
le législateur dans ce second texte d'un terme plus large, celui d'"employeur".
De façon un peu contradictoire, la Cour de cassation
fait référence, dans sa motivation, aux termes de l'article
L.7111-3 du Code du travail qui vise bien les journalistes employés dans les agences
de presse.
Il est donc difficile de comprendre la logique suivie.
Il est donc difficile de comprendre la logique suivie.
Pour tenter d'être complet on précisera que dans deux
arrêts du 24 février 1993 et dans un autre du 22 octobre 1996, la Cour de
cassation avait déjà jugé, avant la recodification du Code du travail, que :
"Vu
les articles L. 761-4 et L. 761-5 du Code du travail ; Attendu
qu'il résulte de ces textes que seules les personnes mentionnées à l'article L.
761-2 du Code du travail et liées par un contrat de travail à une entreprise de
journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement
instituée par l'article L. 761-5 du Code du travail".
Cependant, dans ces 3 arrêts, les employeurs des
journalistes n'étaient pas des agences de presse mais des entreprises
d'ingénierie ou de la grande distribution. La solution retenue alors par la Cour de cassation était logique.
D'ailleurs, quelques années plus tard, elle avait jugé par un arrêt du 5 avril 1999 que :
"ayant fait ressortir que la société Sipa press était une agence de presse au sens de l'article L. 761-2 du Code du travail, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que les salariés, en leur qualité de journaliste professionnel, pouvaient prétendre à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 761-5 du Code du travail".
Cet arrêt du 13 avril 2016 opère donc, sur ce point, un revirement de jurisprudence.
La Cour de
cassation reconnaît ainsi, dans le même arrêt, que la présomption de salariat s'applique aux journalistes
travaillant dans des agences de presse alors que l'article L7112-1
du Code du travail ne fait référence, pour l'application de cette présomption,
qu'aux entreprises de presse, tout en écartant le bénéfice de l'indemnité de
licenciement à ces mêmes journalistes au motif qu'ils ne sont pas employés par
des "entreprises de journaux et
périodiques" alors que cette condition n'est pas posée par l'article L7112-3 du Code du travail.
Comprenne qui pourra !
Ce que l'on peut également observer c'est que, comme indiqué ci-dessus, tout le raisonnement de la Cour de cassation est fondé sur le champ d'application limité aux "entreprises de journaux et périodiques" des dispositions de l'article 7112-2 du Code du travail, relatives à la durée du préavis. Or en pratique c'est l'article 46 de la Convention collective des journalistes qui s'appliquent, les durées de préavis qui y sont prévues étant plus favorables. Cet article 46 s'applique pourtant sans distinction à tous les journalistes, ceux employés par des "entreprises de journaux et périodiques" ou par des agences de presse.
Comprenne qui pourra !
Ce que l'on peut également observer c'est que, comme indiqué ci-dessus, tout le raisonnement de la Cour de cassation est fondé sur le champ d'application limité aux "entreprises de journaux et périodiques" des dispositions de l'article 7112-2 du Code du travail, relatives à la durée du préavis. Or en pratique c'est l'article 46 de la Convention collective des journalistes qui s'appliquent, les durées de préavis qui y sont prévues étant plus favorables. Cet article 46 s'applique pourtant sans distinction à tous les journalistes, ceux employés par des "entreprises de journaux et périodiques" ou par des agences de presse.
Il reste que la conséquence pratique et directe de cet arrêt du 13
avril 2016 est d'ordre financier.
Le journaliste licencié par une agence de presse,
parce qu'il ne peut, selon la Cour de cassation, prétendre à l'indemnité de
licenciement prévue par l'article L7112-3 du Code du
travail ne devra s'attendre qu'au paiement de l'indemnité légale prévue à
l'article L1234-9 du Code du travail, soit
une indemnité équivalente à 1/5ème de mois par année d'ancienneté (majorée
de 2/15ème au delà de 10 ans d'ancienneté).
L'absence dans la Convention collective des
journalistes de texte fixant le montant de l'indemnité de licenciement des
journalistes constitue donc, après l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin
2015 sur le montant de l'indemnité minimum applicable en cas de rupture conventionnelle
du contrat de travail du journaliste (cf. cette autre
page sur ce point), un nouvel handicap pour les journalistes,
notamment ceux travaillant dans une agence de presse.
Ils apparaissent ainsi moins favorisés que de très
nombreuses autres professions bénéficiant d'une Convention collective arrêtant
une indemnité de licenciement supérieure à celle prévue par la loi.
D'ailleurs, dès lors qu'il est a été jugé que le
bénéfice de l'indemnité prévue à l'article L7112-3 du Code du travail est
réservé aux seuls journalistes employés dans les "entreprises
de journaux et périodiques" et ce au motif
qu'elles sont les seules visées à l'article L7112-2 relatif à la durée du
préavis, on peut se demander ce qui empêchera de considérer
également que les dispositions qui suivent ces articles, c'est-à-dire celles de
l'article L7112-4 relatives à la compétence de la Commission arbitrale en cas
de licenciement d'un salarié ayant plus de 15 ans d'ancienneté ou en cas de
faute grave sont encore applicables à un journaliste employé par une agence de
presse.
On observera tout de même que l'article 44 de la Convention collective des journalistes donne compétence à la Commission arbitrale des journalistes pour fixer l'indemnité de licenciement due à un journaliste licencié pour faute grave. On arriverait donc à une situation absurde puisque cette Commission serait compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement d'un journaliste employé par une agence de presse et licencié pour faute grave (l'article 44 de la Convention collective des journalistes lui étant évidemment applicable) mais ne le serait pas pour fixer celle d'un journaliste licencié par une agence de presse après plus de 15 ans...
Qui faudrait-il saisir si le journaliste est licencié par faute grave par une agence de presse après plus de 15 ans d'ancienneté ?
On observera tout de même que l'article 44 de la Convention collective des journalistes donne compétence à la Commission arbitrale des journalistes pour fixer l'indemnité de licenciement due à un journaliste licencié pour faute grave. On arriverait donc à une situation absurde puisque cette Commission serait compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement d'un journaliste employé par une agence de presse et licencié pour faute grave (l'article 44 de la Convention collective des journalistes lui étant évidemment applicable) mais ne le serait pas pour fixer celle d'un journaliste licencié par une agence de presse après plus de 15 ans...
Qui faudrait-il saisir si le journaliste est licencié par faute grave par une agence de presse après plus de 15 ans d'ancienneté ?
Quoi qu'il en soit, à s'en tenir aux termes de la loi,
il reste très difficile de comprendre un arrêt qui considère que le terme d'"employeur"
de journalistes doit s'entendre des seules "entreprises
de journaux et périodiques" lorsqu'il s'agit de déterminer l'indemnité de licenciement et qui retient par ailleurs qu'une "entreprise
de presse" se confond avec une "agence de presse" pour l'application de la présomption de salariat des journalistes.
Si les journalistes professionnels employés par les
agences de presse sont désormais clairement présumés salariés (ce qui est une
avancée significative notamment pour ceux employés à la pige), ceux qui seront
licenciés devront maintenant (dans l'attente d'un nouveau revirement de jurisprudence ?) se contenter d'une indemnité divisée par 5 en
comparaison avec celle versée à leurs confrères employés dans la presse écrite
ou dans l'audiovisuel.
Voilà une distinction difficile à comprendre !
En tout cas, le frein financier aux licenciements que
pouvait constituer le montant des indemnités dues aux journalistes employés par
les agences de presse - notamment ceux ayant le plus d'ancienneté - est
désormais levé.
C'est dans l'air du temps...
On peut toutefois noter que par un arrêt du 20 septembre 2016, la Cour d'appel de Versailles n'a pas appliqué cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.
Bien qu'invitée par une agence de presse, partie à la procédure, à fixer l'indemnité de licenciement d'un de ses journalistes à 1/5ème de mois par année d'ancienneté, cette Cour d'appel a en effet fait application des dispositions de l'article L.7112-3 du Code du travail et elle a donc condamné cette agence de presse à verser une indemnité d'un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté.
On peut toutefois noter que par un arrêt du 20 septembre 2016, la Cour d'appel de Versailles n'a pas appliqué cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.
Bien qu'invitée par une agence de presse, partie à la procédure, à fixer l'indemnité de licenciement d'un de ses journalistes à 1/5ème de mois par année d'ancienneté, cette Cour d'appel a en effet fait application des dispositions de l'article L.7112-3 du Code du travail et elle a donc condamné cette agence de presse à verser une indemnité d'un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté.
Bonsoir Maître,
RépondreSupprimerVos articles et votre site sont très intéressants.
Auriez-vous un ouvrage relatif au droit applicable aux journalistes à me conseiller ?
Je vous remercie vivement par avance pour votre aide précieuse.
Bien cordialement,
RépondreSupprimerCertains ouvrages en droit du travail contiennent des chapitres consacrés au droit des journalistes.
Le plus accessible est sans doute le mémento social Lefebvre.
Un immense merci pour votre retour aussi rapide.
RépondreSupprimerJe l'ai bien en ma possession mais j'aurai aimé quelque-chose de plus poussé.
Bien cordialement,