20 sept. 2017

Calcul de l'indemnité de licenciement d'un salarié devenu journaliste

Les modalités de calcul de l'indemnité de licenciement d'un journaliste sont fixées par l'article L7112-3 du Code du travail qui dispose que "le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration des derniers appointements" (et ce dans la limite de 15 années d'ancienneté, cette indemnité étant, pour les journalistes ayant une ancienneté supérieure, fixée par la Commission arbitrale des journalistes (cf. cette publication sur ce point).

Il n'est toutefois pas rare que, au cours de l'exécution de son contrat de travail, un salarié, d'abord embauché pour occuper des fonctions non-journalistiques, devienne ensuite journaliste professionnel.

Une telle situation pose nécessairement des difficultés au moment du calcul de son indemnité de licenciement ou de son indemnité de rupture à la suite de l'exercice de la clause de cession ou de la clause de conscience.

En 1947, une salariée est embauchée en qualité de secrétaire sténodactylographe par une société de presse. Cette collaboration est soumise à la convention collective de la presse.

En 1960, alors qu'elle travaille toujours pour le même employeur, elle devient journaliste.

Elle est licenciée en 1963.

Son employeur lui verse alors une indemnité dont le montant correspond d'une part à un mois par année d'ancienneté pendant lesquelles elle a travaillé en qualité de journaliste (1960 à 1963) et, d'autre part, au montant prévu par la convention collective des entreprises de presse pour les années antérieures (lequel montant était évidemment moins élevé que celui prévu pour les journalistes).

Les juridictions du travail sont saisies. La salariée soutient que, journaliste au moment de son licenciement, elle aurait dû percevoir l'indemnité légale de licenciement prévue pour les journalistes au titre de toute la durée de la collaboration, soit de 1947 à 1963.

La Cour de cassation, par un arrêt du 19 décembre 1966 (soit 3 ans après le licenciement, preuve qu'à cette époque le parcours judiciaire était plus rapide qu'aujourd'hui), valide le raisonnement de l'employeur et confirme l'arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait débouté la  journaliste de ses prétentions.

Elle retient que la salariée "n'invoquait aucune disposition de la convention collective des journalistes dont il résulterait que, pour le calcul de l'indemnité de licenciement de l'article 29-D du livre 1er [devenu l'article L7112-3] du Code du travail, pourrait être ajouté aux années d'emploi en qualité de journaliste professionnel le temps de présence accompli dans les fonctions ne ressortissant pas de cette activité" et elle en déduit que la salariée "ne pouvait prétendre à ladite indemnité que pour la durée de ses fonctions de journaliste".
Quelques années plus tard, le 11 décembre 1991, la même Cour de cassation devait examiner le pourvoi formé par un autre journaliste.

Employé en 1958 en qualité de typographe, il avait été nommé premier secrétaire de rédaction (et donc journaliste) en 1971.

Licencié en 1983, il avait perçu une indemnité de licenciement calculée sur la base des seules annuités d'ancienneté en qualité de journaliste.

A la différence du cas précédent, il n'avait donc perçu aucun complément d'indemnité de licenciement au titre de la période pendant laquelle il n'était pas journaliste.

Ce salarié réclamait de ce fait à son employeur une somme égale au cumul des deux indemnités : celle due au titre de la période pendant laquelle il n'avait pas été journaliste (25 ans) et celle due au cours des années postérieures pendant lesquelles il avait ce statut de journaliste.

Cependant, là encore, la Cour de cassation a validé le calcul de l'indemnité de licenciement retenu par l'employeur.

Dans un arrêt du 11 décembre 1991, elle a jugé :

"d'une part, qu'en vertu de l'article L. 761-5 [devenu l'article L7112-3] du Code du travail, le journaliste congédié du fait de l'employeur a droit à une indemnité qui est calculée en fonction des seules années passées dans l'exercice de la profession de journaliste, sauf pour l'intéressé à lui préférer, si elle est plus favorable, l'indemnité légale de licenciement prévue à l'article L. 122-9 [devenu l'article L1234-9] du même Code, prenant en compte la totalité des années de service dans l'entreprise"

"d'autre part, que sauf dispositions contraires, non prévues en l'espèce, l'indemnité de congédiement de l'article L. 761-5 [devenu l'article L7112-3] ne peut non plus se cumuler avec une indemnité conventionnelle de licenciement".

La solution est sévère puisqu'il appartient au salarié qui n'a pas toujours été employé en qualité de journaliste, soit de renoncer à obtenir une indemnité au titre de la période pendant laquelle il n'a pas été journaliste, soit – si cela lui est plus favorable – de demander le paiement d'une indemnité calculée sur toute la durée du contrat de travail mais alors calculée sur la base de l'indemnité légale désormais prévue à l'article L.1234-9 du Code du travail, c'est-à-dire (en l'état) de 1/5 de mois par année d'ancienneté.

Un salarié qui n'aura, pendant 5 ans, pas été employé en qualité de journaliste puis qui, pendant 4 ans par exemple, aura travaillé en qualité de journaliste, aura droit à une indemnité égale soit à 9 années x 1 / 5 mois de salaire = 1,8  mois au titre de l'indemnité légale, soit 2 années x 1 mois : 2 mois au titre de l'indemnité légale des journalistes.   
   
La "perte" peut être importante, surtout lorsque le salarié a longtemps travaillé à d'autres fonctions que celles de journaliste puisque, dans cette hypothèse, il ne peut pas prétendre à l'application de la convention collective qui était alors applicable à la relation de travail.

Pour les salariés ayant travaillé au moins 15 ans en qualité de journaliste professionnel, la Commission arbitrale des journalistes est souveraine pour fixer le montant total de l'indemnité de licenciement. Rien de lui interdit donc, dans ce cadre et pour atténuer la sévérité de la règle de prendre en considération la durée totale du contrat de travail et donc la période pendant laquelle le journaliste ne l'était pas.

Dans le cas - a priori plus rare - où après avoir travaillé en qualité de journaliste professionnel, un salarié occupait au moment de son licenciement des fonctions non-journalistiques, l'indemnité de licenciement doit être calculée selon les règles conventionnelles applicables à la relation de travail au moment de la rupture du contrat.

En effet, sauf disposition contraire, l'indemnité conventionnelle de licenciement due au salarié est, selon la Cour de cassation, celle prévue "pour la catégorie à laquelle il appartient au moment de la rupture de son contrat de travail en prenant en compte toute la durée de son contrat de travail" (Cass. soc. 17 juillet 1996).

Dans un tel cas, il est donc nécessaire de se référer à la rédaction de la convention collective.

Imaginons le cas d'un salarié employé pendant 10 ans comme journaliste, relevant de la convention collective des journalistes  puis, toujours par le même employeur, employé pendant 5 ans comme cadre administratif soumis à la convention collective des salariés cadres des éditeurs de presse magazine.

Cette convention prévoit en son article 26 que l'indemnité de licenciement est fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et qu'elle s'élève à un mois par année d'ancienneté.

Ce salarié percevra donc une indemnité de licenciement équivalente à 15 mois de salaire.

Dans la situation inverse (cadre administratif pendant 10 ans puis journaliste pendant 5 ans), il n'aurait perçu que 5 mois de salaire au même titre.

Ces solutions sont difficilement justifiables en équité.

D'ailleurs, pour compliquer à l'envi l'exercice, on pourrait s'interroger sur la façon de calculer l'indemnité de licenciement d'un salarié qui a été employé, par le même employeur et au cours du même contrat de travail,  comme journaliste, puis comme cadre administratif puis à nouveau comme journaliste, avant d'être licencié. Faut-il, dans un tel cas, prendre en compte uniquement la dernière période pendant laquelle le journaliste a exercé ces fonctions ou faut-il y ajouter la période qui a précédé celle pendant laquelle il était cadre administratif ?

Il reste qu'une fois encore – car c'est également le cas lorsqu'il s'agit de déterminer le montant minimal de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle ou encore le montant de l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse – le fait que le mode de fixation de l'indemnité de licenciement des journalistes soit prévu par la loi et non pas par la convention collective des journalistes se retourne contre eux !