Le contrat de travail d'un salarié placé en arrêt de travail pour maladie est suspendu.
Pendant la durée de cette suspension, le salarié reçoit de l'assurance maladie des indemnités journalières lesquelles sont complétées, généralement pendant un temps limité, par son employeur tenu par loi ou par un accord collectif plus favorable de lui garantir un maintien de salaire et/ou par des prestations versées dans le cadre de l'exécution d'un contrat de prévoyance.
Par application de l'article 36 de la convention collective des journalistes, le journaliste en état d'incapacité temporaire de travail pour raison de santé peut ainsi prétendre à un maintien de salaire pendant une certaine durée laquelle est déterminée en fonction de l'ancienneté de la relation de travail (par exemple le journaliste dont l'ancienneté est supérieure à 15 ans a droit au maintien de la totalité de son salaire par son employeur pendant 6 mois puis de la moitié de ce salaire pendant encore 6 mois) (cf. cette autre publication sur ce sujet).
Lorsque la durée de maintien de l'intégralité du salaire est expiré alors que l'arrêt maladie se poursuit, le journaliste reçoit de son employeur des bulletins de paye mentionnant un salaire inférieur à son salaire ordinaire, voire aucun salaire.
Évidemment, une telle situation peut se produire au cours du mois de décembre.
C'est ce qui est arrivé à un journaliste qui, arrêté pour maladie à plusieurs reprises pendant une longue période, se voyait remettre par son employeur des bulletins mentionnant des salaires inférieurs à son salaire ordinaire, notamment au cours des mois de décembre.
Il a, par exemple, été arrêté tout le mois de décembre 2019 et aucun salaire ne lui a été versé.
L'article 25 de la convention collective des journalistes prévoit, comme bien d'autres, le versement d'une prime de 13ème mois (cf. cette autre publication sur ce sujet)
Ce texte, pour l'essentiel, est ainsi rédigé : "à la fin du mois de décembre, tout journaliste professionnel percevra à titre de salaire, en une seule fois, sauf accord particulier, une somme égale au salaire du mois de décembre (…)".
L'employeur du journaliste en question, arrêté donc pour maladie au cours de l'année 2019 et notamment tout le mois de décembre, décide à la fin de cette année 2019 de lui verser une prime de 13ème mois calculée au prorata du montant de ses salaires versées au cours de l'année civile écoulée (salaires donc réduits en raison de ses différents arrêts maladie et du dépassement de la durée de maintien de l'intégralité du salaire).
Il explique à son salarié que ce mode de calcul lui est favorable car, s'il avait appliqué à la lettre les termes de l'article 25 de la convention collective des journalistes, le montant de sa prime de 13ème mois de 2019 aurait été égal à celui de son salaire du mois de décembre de la même année c'est-à-dire égal à zéro.
Le journaliste saisit le Conseil de prud'hommes de Lorient. Il lui demande de condamner son employeur à lui verser un rappel de prime de 13ème mois.
Il soutient que le montant de cette prime de 13ème mois devait être équivalent à celui de son salaire ordinaire, peu importe qu'il ait été placé en arrêt maladie au cours de tout le mois de décembre ou même au cours des mois qui ont précédé.
Par jugement du 25 janvier 2022, le conseil de prud'hommes rejette sa demande. Il considère que l'employeur de ce journaliste a mis en place une pratique concernant le 13ème mois "mieux disante" que la règle qui résulte des dispositions conventionnelles lesquelles, comprend-on, auraient pu, selon cette juridiction, permettre à cette société de presse de ne verser aucune prime de 13ème mois à ce journaliste dès lors qu'il avait été placé en arrêt maladie durant tout le mois de décembre 2019 et qu'aucun salaire ne lui avait été versé au cours de ce mois.
Le journaliste est condamné à verser une indemnité pour frais de procédure à son employeur.
Compte tenu du montant des demandes (inférieur à 5000 euros), le jugement est rendu en dernier ressort, ce qui signifie qu'il n'est pas susceptible d'appel. Seul un pourvoi en cassation peut être formé.
Le journaliste décide de saisir la Cour de cassation.
Par un arrêt du 29 novembre 2023 (n°22-13871), la Cour de cassation casse le jugement du Conseil de prud'hommes de Lorient.
Après avoir rappelé les termes de l'article 25 de la convention collective des journalistes, elle retient qu'il en résulte que "sauf exception prévue par ce texte, tout journaliste professionnel perçoit, à titre de treizième mois, le salaire convenu du mois de décembre sans condition de présence effective".
Il faut donc en déduire que la prime de 13ème mois due au journaliste est égale au salaire, non pas qu'il a effectivement perçu au cours du mois de décembre, mais à celui de son salaire ordinaire tel qu'il résulte de son contrat de travail.
La seule exception à cette règle, à laquelle fait référence la Cour de cassation dans son arrêt, est celle d'un début ou d'une fin de contrat au cours de l'année civile écoulée. Dans ce cas, l'article 25 de la convention collective des journalistes prévoit en effet qu'"en cas de licenciement ou de démission en cours d'année, il sera versé au titre de ce salaire, dit mois "double" ou "treizième mois", un nombre de 1/12 égal au nombre de mois passés dans l'entreprise depuis le 1er janvier et basé sur le dernier salaire reçu. Les journalistes professionnels engagés en cours d'année recevront fin décembre un nombre de douzièmes égal au nombre de mois passés dans l'entreprise. Dans tous les cas ces 1/12 ne seront dus qu'après 3 mois de présence".
La décision de la Cour de cassation ne peut, en droit, qu'être approuvée.
Il n'y a en effet pas lieu d'ajouter des conditions au versement de la prime de 13ème mois qui n'ont pas été prévues par la convention collective des journalistes.
Puisque l'article 25 de cette convention collective fait état du versement d'une "somme égale au salaire du mois de décembre", il s'agit, faute d'autre précision contraire, du salaire contractuel convenu et non pas de celui effectivement versé tenant compte par exemple de l'absence du journaliste pour maladie (ou une autre cause de suspension du contrat de travail, comme celle qui résulte d'une grève par exemple).
De la même manière, si une prime exceptionnelle est versée en décembre à un journaliste, son montant ne doit pas être pris en compte dans la fixation de la prime de 13ème mois.
La solution retenue par la Cour de cassation n'est pas nouvelle.
Déjà par un arrêt du 21 mars 2012 (n°10-15553), elle avait jugé que puisque l'article 3-16 de la convention collective nationale des activités de déchets détermine le montant de la prime de treizième mois perçue par les salariés sans la moindre condition de durée effective de leur présence dans l’entreprise, un employeur relevant de ladite convention ne pouvait valablement décider que l’attribution de cette prime de treizième mois était fonction du temps de présence effectif et donc priver un salarié de son droit à cette prime en raison de son absence pour maladie.
La réduction du montant de la prime de 13ème mois n'est donc possible que lorsque la clause l'instaurant prévoit expressément que son montant est déterminé en fonction de la présence effective du salarié. La Cour de cassation a ainsi validé un accord d'entreprise prévoyant que le montant d'une prime était fonction d'une telle présence effective sur le lieu de travail du salarié au cours de l'année. Dans un tel cas, le montant de cette prime peut donc valablement être établi au prorata de ce temps de présence, en déduisant les périodes d'absence pour maladie sur l'année de référence (Cass. soc. 21 nov. 2012, n°11-12126).
Une telle clause ne peut toutefois être prise en compte que si elle exclut de l'assiette de calcul de la prime de 13ème mois toute période d'absence quel qu'en soit le motif et non pas uniquement celle pour cause de maladie. A défaut, la disposition serait nulle puisque se heurtant au principe de non-discrimination des salariés en raison de leur état de santé, tel que posé par l'article L.1132-1 du Code du travail (Cass. soc. 11 janv. 2012, n°10-23139).
Quoi qu'il en soit, la décision de la Cour de cassation du 29 novembre 2023 est claire. Les journalistes placés en arrêt maladie ont droit au versement de l'intégralité de leur prime de 13ème mois.
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