Une Société de presse fait travailler une personne
pour une revue qu'elle édite.
Elle lui demande d'écrire des articles et de réaliser
des interviews, c'est-à-dire incontestablement des tâches relevant du travail habituellement
confié à un journaliste.
En contrepartie, la Société verse à cette personne une
rémunération exclusivement sous forme de droits d'auteur.
Evidemment, en ayant recours à un tel mode de
paiement, la Société de presse estime que cette personne n'est pas salariée.
Cette collaboration est interrompue à l'initiative de
la Société de presse.
L'auteur des articles prend alors acte de la rupture
de ce qu'il considère être un contrat de travail et il saisit le Conseil de
prud'hommes.
La prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail
par un salarié produit les effets d'un licenciement abusif lorsque la
juridiction saisie retient que la rupture était justifiée par une faute
suffisamment grave imputable à l'employeur. A
défaut, elle produit les effets d'une démission.
La prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail
qui n'est pas un contrat de travail n'a toutefois aucun sens et, en l'espèce,
avant même de se demander quels effets devait produire cette prise d'acte, il
était donc nécessaire de rechercher quelle était la nature juridique du contrat
liant les parties : contrat d'auteur ou contrat de travail.
Le Conseil de prud'hommes de Paris, par jugement du 1er
décembre 2011, retient que l'auteur des articles avait le statut de journaliste
professionnel.
Il bénéficiait de ce fait de la présomption légale de
salariat liée à ce statut, telle que prévue à l'article L7112-1 (cf. autre publication sur ce sujet).
La Société de presse est donc condamnée à verser à ce
salarié, différentes sommes à titre de rappel de salaires, de congés payés, de
primes de 13ème.
En outre, puisque la rupture du contrat de travail
de travail était imputable à la Société de presse - celle-ci avait cessé de faire travailler son
salarié sans pour autant le licencier -, le Conseil de prud'hommes juge que la
prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement abusif et la Société de
presse est condamnée à payer à ce salarié une indemnité compensatrice de
préavis, l'indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour rupture
abusive.
La Société de presse interjette appel.
Elle soutient que l'auteur des articles ne démontre
pas qu'il remplissait les conditions pour prétendre au statut de journaliste
professionnel.
De son côté, l'auteur des articles demande à la Cour
d'appel de confirmer la décision de première instance qui lui a reconnu le
statut de journaliste professionnel et, en toute hypothèse, soutient qu'il a
été salarié de l'entreprise de presse.
La Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 26 septembre
2013, infirme en totalité le jugement du Conseil de prud'hommes.
Elle relève que l'auteur des articles ne produit aux
débats aucun élément susceptible de démontrer qu'il tirait de ses activités
journalistiques l'essentiel de ses revenus.
De ce fait, il ne remplissait pas l'une des
conditions prévues à l'article L711-3 du Code du travail pour bénéficier du
statut de journaliste professionnel (cf.
cette autre publication sur ce sujet).
La Cour d'appel en déduit que, n'étant
pas journaliste professionnel, l'auteur des
articles ne peut pas bénéficier de la présomption de salariat et elle
déboute l'auteur des articles de l'ensemble de ses demandes fondées sur
l'existence d'une relation de nature salariale.
Un
pourvoi en cassation est formé.
Par
arrêt du 6 mai 2015, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de
Paris.
Elle
reproche à la Cour d'appel de Paris de s'être déterminée ainsi sans
rechercher si l'auteur des articles n'était pas lié à l'entreprise de presse
par un contrat de travail.
En
effet, l'auteur des articles soutenait dans ses conclusions d'appel qu'il était,
de toutes les façons, salarié de la Société de presse.
Or,
évidemment, on peut être salarié sans être journaliste professionnel.
En
d'autres termes, une personne qui effectue un travail de journaliste mais qui
ne peut pas prétendre au statut de journaliste professionnel (par exemple parce
qu'elle tire l'essentiel de ses revenus d'autres activités, non journalistiques)
peut tout de même être liée à une entreprise de presse par un contrat de
travail.
Ce
n'est pas parce que l'on ne peut pas invoquer une présomption de salariat que
l'on ne peut pas démontrer un lien de subordination, susceptible de
caractériser l'existence d'un contrat de travail.
On ne pas déduire automatiquement du fait qu'une
personne qui accomplit un travail de journaliste mais qui n'a pas le statut de journaliste
professionnel qu'elle n'est pas salariée.
La
Cour d'appel de renvoi devra donc ici se demander si l'auteur des articles apporte
ou non la preuve d'un tel lien de subordination.
La
présomption de salariat liée au statut de journaliste professionnel est un
avantage indéniable pour le journaliste puisqu'il appartient à celui qui
conteste l'existence d'un contrat de travail de démontrer l'absence du lien de
subordination.
Sauf
à dénaturer le sens de ce cette présomption, elle ne peut pas conduire à
exclure automatiquement du statut de salarié celui qui, effectuant des tâches
journalistes, ne remplit pas les conditions légales pour prétendre au statut de
journaliste professionnel.