Un salarié qui estime que son employeur commet des fautes d'une
certaine gravité dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail
peut saisir une juridiction d'une demande de résiliation judiciaire de
ce contrat.
Lorsqu'elle est prononcée, la résiliation judiciaire du contrat
de travail produit les mêmes effets qu'un licenciement abusif et le
salarié peut donc prétendre à une indemnité de licenciement, à une
indemnité compensatrice de préavis et à des dommages-intérêts pour
licenciement abusif.
En revanche, si cette résiliation judiciaire est refusée par le
Conseil de prud'hommes (ou par la Cour d'appel), le contrat de travail
se poursuit.
Bien évidemment, un journaliste - comme tout salarié - peut
prétendre à une résiliation judiciaire de son contrat de travail lorsque
son employeur commet, envers lui, des fautes.
Lorsqu'il est payé à la pige de façon régulière, le journaliste
est considéré comme employé sous contrat à durée indéterminée et il peut
donc également poursuivre la résiliation judiciaire de ce contrat (cf. cette page sur ce sujet).
Dans ce cas, plusieurs questions se posent auxquelles un récent
arrêt de la Cour de cassation apporte des réponses.
Pendant une dizaine d'années, soit de 1993 à 2002, une
journaliste avait été payée régulièrement à la pige par une Société de
presse.
A l'initiative de cette Société de presse, le montant des piges
avait baissé de façon importante au cours des 6 premiers mois de l'année
2003.
Ensuite plus aucune pige n'avait été versée à cette journaliste.
Celle-ci saisit le Conseil de prud'hommes.
Elle lui demande de prononcer la résiliation judiciaire de son
contrat de travail du fait des manquements de son employeur (baisse puis
arrêt des piges et non paiement de primes d'ancienneté) et de le
condamner à un rappel de salaires et de primes d'ancienneté depuis
l'arrêt de la collaboration et ce jusqu'au jour de la décision
prononçant la résiliation du contrat de travail.
Le Conseil de prud'hommes de Paris déboute la journaliste de l'ensemble de ses demandes.
Cette salariée interjette appel de cette décision.
Par un arrêt du 2 novembre 2011, la Cour d'appel de Paris
infirme partiellement le jugement du Conseil de prud'hommes.
Elle estime qu'"en arrêtant après juin 2003 toute collaboration professionnelle avec (la journaliste) ainsi
privée de rémunération, après avoir sensiblement diminué son niveau
d'activité dès le mois de janvier de la même année, la SNC PRISMA PRESSE
a modifié de manière unilatérale le contrat de travail en s'abstenant
de l'exécuter aux conditions convenues, ce qui constitue de sa part un
manquement fautif d'une gravité suffisante de nature à justifier que la
résiliation dudit contrat soit prononcée par la Cour à ses torts
exclusifs, laquelle doit produire dans ce cas les effets d'un
licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences
indemnitaires de droit".
Bref, la résiliation du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur.
La date de "prise d'effet" de
cette résiliation est toutefois fixée par la Cour d'appel au 1er
juillet 2003, date à laquelle plus aucune pige n'a été versée à la
journaliste.
Cette journaliste payée à la pige est donc déboutée de la
demande de rappel de salaires qu'elle formulait pour la période comprise
entre le 1er janvier 2003 (date du début de la baisse des piges)
jusqu'au jour de la décision de justice prononçant la rupture du contrat
de travail.
L'employeur est en revanche condamné à payer une indemnité de
licenciement, un préavis et des dommages-intérêts au journaliste.
Cependant, alors que la journaliste demandait que ces sommes
soient calculées sur la moyenne des 24 derniers mois de piges précédant
la baisse fautive, soit sur les piges versées en 2001 et 2002, la Cour
d'appel de Paris ne fait pas droit à cette demande et prend en compte la
moyenne mensuelle des 3 derniers mois travaillées en 2003, soit une
période au cours de laquelle le montant des piges avait déjà baissé de
façon importante. Il en résulte que les sommes allouées à la journaliste
sont très faibles.
Cette journaliste forme un pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 3 juillet 2013, l'arrêt de la Cour d'appel de
Paris est cassé, les 3 moyens soutenus par le journaliste étant retenus.
- Sur la date de la rupture du contrat de travail :
La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence (constante depuis
au moins depuis 2007 et réaffirmée dans un arrêt du 24 avril 2013),
selon laquelle "en cas de résiliation judiciaire du contrat de
travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour
de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été
rompu avant cette date".
Or, elle constate que "pour
prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de
la société avec effet au 1er juillet 2003, rejeter les demandes de Mme
X... à titre de rappels de salaire et de prime conventionnelle
d'ancienneté sur la période de décembre 2003 à septembre 2011 et limiter
le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt
retient que la prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de
travail ne peut être fixée qu'à la date de la décision la prononçant si
le salarié est toujours à la même époque au service de l'employeur, et
que les parties s'accordent sur le fait d'un arrêt de leur collaboration
à compter du 1er juillet 2003 ".
Elle en déduit logiquement
"qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses
constatations que le contrat de travail avait été rompu antérieurement à
la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé le texte
susvisé".
Puisque la date de la résiliation judiciaire du contrat de
travail ne peut être fixée qu'au jour où est rendue la décision qui
prononce cette résiliation, le contrat de travail, sauf s'il a été rompu
entre temps pour une autre cause (licenciement, démission, départ ou
mise à la retraite, prise d'acte de la rupture du contrat de travail,
clause de cession...), ne prend fin qu'au jour de cette décision de
justice.
La Cour d'appel de renvoi devra donc prononcer la résiliation
judiciaire non pas à la date de l'arrêt des piges (1er juillet 2003),
mais à la date à laquelle la résiliation judiciaire a été prononcée par
la Cour d'appel, soit le 2 novembre 2011.
La journaliste devrait donc pouvoir prétendre à un rappel de piges durant toute cette période (2003 à 2011).
Il n'est pas inintéressant d'observer que le Conseil de
prud'hommes qui, en décembre 2009, avait débouté la journaliste de
toutes ses demandes (et qui n'avait donc pas résilié le contrat de
travail) a, bien malgré lui, prolongé la poursuite du contrat de travail
pendant la durée de la procédure d'appel, soit pendant presque 2 ans.
- Sur le montant des indemnités de rupture :
La Cour de cassation constate encore que la Cour d'appel a "pour limiter le montant des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse" retenu que "pour
la détermination du salaire brut mensuel de référence, dans la mesure
où l'article L. 7112-3 du code du travail prend en compte les derniers
appointements perçus par le journaliste professionnel, il convient de se
référer à la période des trois derniers mois travaillés en 2003 et non à
la période 2001-2002".
Cette analyse est censurée et la Cour de cassation rappelle que "les
indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail devaient
être calculées sur la base de la rémunération que la salariée aurait dû
percevoir et non sur celle de la rémunération qu'elle avait
effectivement perçue du fait des manquements de l'employeur à ses
obligations".
Il y a donc lieu, pour le calcul de l'indemnité de licenciement,
l'indemnité compensatrice de préavis et les dommages-intérêts pour
licenciement abusif de se référer aux salaires versés avant la baisse
fautive, c'est-à-dire ici avant 2003.
Une telle décision n'est pas nouvelle (cf. cette autre page sur ce sujet).
Elle vise à sanctionner la pratique qui consiste, pour un employeur, à
imposer à un journaliste pigiste une diminution progressive de ses
piges destinée précisément à réduire d'autant le montant des indemnités
de rupture qui sont normalement calculées sur la moyenne des salaires
effectivement reçus au cours des derniers mois.
Espérant une reprise du volume des piges à son niveau antérieur,
le journaliste pigiste - parfois en situation de grande précarité -
n'ose pas se plaindre de cette diminution et on ne pourrait évidemment
qu'encourager cette pratique si, au moment de la rupture, l'on ne
prenait en compte, comme l'avait fait la Cour d'appel de Paris, que les 3
derniers mois de salaires.
- Sur la base de calcul de l'indemnité de licenciement du journaliste payé à la pige :
Enfin, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel du 2
novembre 2011 en ce qu'il a estimé que l'indemnité de licenciement de
cette journaliste payée à la pige devait être calculée sur la moyenne
des 3 derniers mois de travail, soit d'avril à juin 2003.
La cassation était certaine puisque la Convention collective des
journalistes prévoit en son article 44 que cette indemnité est
calculée, pour les journalistes ne percevant pas un salaire mensuel
régulier, sur la base de 1/12ème des salaires perçus au cours des douze
mois précédant le licenciement ou de 1/24ème des salaires perçus au
cours des vingt-quatre derniers mois précédant le licenciement et ce au
choix du salarié.
Dès lors que la journaliste - dont la rémunération à la pige
n'était pas fixe - demandait à ce que soit prise en compte la moyenne
des 24 derniers mois pour le calcul de l'indemnité de licenciement, la
Cour d'appel ne pouvait valablement retenir celle des 3 derniers mois.
Cette règle de la moyenne des 12 ou 24 derniers mois vise
d'ailleurs précisément à ne pas défavoriser le pigiste dont la
rémunération aurait baissé au cours des derniers mois précédant la date
du licenciement, ou comme dans le cas d'espèce, la date de la
résiliation judiciaire du contrat de travail.
Vianney FÉRAUD
Avocat au barreau de Paris
Vianney FÉRAUD
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commentaires
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