La Cour de cassation distingue le pigiste occasionnel auquel
l'entreprise de presse n'a pas l'obligation de procurer du travail et le
pigiste régulier qu'elle considère comme étant, de fait, employé sous
contrat à durée indéterminée.
Un certain nombre de litiges, engagés notamment après la fin
de la relation de travail, ont donc pour objet de déterminer si le
journaliste est un pigiste occasionnel ou un pigiste régulier.
Dans le premier cas, le journaliste ne pourra prétendre à
aucune indemnité, les juridictions considérant que la fin d'une
collaboration avec un pigiste occasionnel n'est pas assimilée à un
licenciement tandis que si le pigiste est jugé "régulier", il pourra
prétendre à des indemnités de fin de contrat.
La difficulté consiste - on le devine - à préciser les
critères qui permettent de déterminer à partir de quelle régularité le
journaliste payé à la pige peut prétendre être un pigiste régulier
employé sous contrat à durée indéterminée (cf. cette autre publication sur ce sujet).
Mais, si la jurisprudence a souvent qualifié de contrat à
durée indéterminée le lien unissant le pigiste régulier à une entreprise
de presse, elle ne s'intéresse pas vraiment à la qualification
juridique du contrat conclu entre un pigiste occasionnel et son
employeur, étant rappelé que le journaliste professionnel même payé à la
pige est présumé être salarié et que ce contrat est donc également
présumé être un contrat de travail (cf. cette autre publication sur ce sujet).
Existerait-il un contrat de travail atypique : le contrat de pige occasionnelle ?
Ni le Code du travail ni la convention collective des
journalistes n'envisagent l'existence d'un tel contrat dérogatoire.
En réalité un tel contrat n'existe pas.
La pige n'est en effet pas un contrat mais un simple mode de
paiement à la tâche du salaire à un journaliste professionnel.
C'est ce qu'a par exemple rappelé la Cour d'appel de Paris
dans un arrêt du 29 octobre 2009 ou encore la Cour d'appel d'Angers dans
en arrêt du 4 décembre 2012 en indiquant clairement que : "la
rémunération à la pige est l'un des modes de rémunération des
journalistes mais ne constitue pas en elle-même un contrat de travail".
Si le contrat de pige occasionnelle n'existe pas et que la
relation de travail n'est pas à durée indéterminée, alors cette relation
ne peut qu'être à durée déterminée.
Dans un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a semblé opter pour une telle qualification.
Elle a en effet approuvé l'arrêt d'une Cour d'appel qui avait
clairement jugé qu'un journaliste à qui un travail payé à la pige avait
été confié avait été lié à la société par un contrat à durée
déterminée.
Un contrat à durée déterminée, par définition, contient un "terme".
En l'espèce aucun écrit n'avait été régularisé entre les parties.
Or, l'article L.1242-12 du Code du travail dispose en son premier alinéa que :
"Le
contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte
la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour
une durée indéterminée". Cet écrit doit notamment contenir "la date du terme" du contrat à durée déterminée.
En 1991, l'article 122-3-13 du Code du travail disposait déjà
qu'un contrat à durée déterminée non écrit était présumé être à durée
indéterminée.
Mais la Cour de cassation admettait alors que la preuve
contraire soit rapportée et l'employeur pouvait donc démontrer, même en
l'absence de contrat de travail écrit, qu'il était convenu avec le
salarié d'un terme.
Dans cet arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a
ainsi retenu que, nonobstant l'absence d'écrit, le travail payé à la
pige s'inscrivait dans un contrat à durée déterminée dont le terme était
constitué par "l'achèvement du reportage commandé".
Depuis cet arrêt de 1991, la jurisprudence de la Cour de
cassation sur les contrats à durée déterminée a évolué.
Elle considère désormais qu'un contrat à durée déterminée non
écrit est présumé de façon irréfragable être un contrat à durée
indéterminée. La preuve contraire ne peut donc plus être apportée.
Or, en pratique, les commandes de piges passées à des
journalistes, font rarement l'objet d'un contrat écrit.
De ce seul fait, la relation de travail payée à la pige,
indépendamment de son caractère régulier ou non, est susceptible d'être
considérée comme étant un contrat à durée indéterminée.
Dans un jugement du 21 septembre 2012, le Conseil de
prud'hommes de Paris a ainsi retenu qu'une journaliste payée à la pige
était "sous contrat à durée indéterminée puisque lorsqu'elle a été
embauchée il n'y a pas eu de contrat écrit et qu'en application de
l'article L1242[-12] du code du travail le contrat à durée déterminée est forcément écrit".
Déjà dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation
avait estimé, entre autres moyens, qu'en l'absence de contrat écrit, le
contrat de travail d'un journaliste payé à la pige était réputé avoir
été conclu pour une durée indéterminée.
Dans un arrêt du 20 septembre 2012, la Cour d'appel de Paris,
après avoir indiqué que la presse est un secteur d'activité dans lequel
le recours aux contrats à durée déterminée d'usage est possible a
précisé "encore faut-il que ce mode d'embauche soit formalisé par un
document écrit, cette règle s'appliquant au cas des journalistes
rémunérés à la pige".
Après avoir constaté qu'aucun contrat de travail à durée
déterminée n'avait en l'espèce été signé entre les parties, la Cour
d'appel a requalifié la relation de travail en un contrat à durée
indéterminée.
Elle indique encore dans son arrêt que "le contrat à durée déterminée verbal étant requalifié en contrat à durée indéterminée", le journaliste "a droit à une indemnité de requalification d'un montant égal à un mois de salaire".
La Cour d'appel estime donc ainsi clairement que les "piges"
confiées au journaliste étaient, à l'origine, considérées comme des
contrats à durée déterminée. Elle applique, dans cette logique, la
sanction prévue par l'article L. 122-3-13 du Code du travail qui prévoit
que lorsque le juge fait droit à la demande de requalification du
contrat à durée déterminée formulée par le salarié "il doit lui accorder, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire... ".
Alors que, dans les décisions précitées, le Conseil de
prud'hommes et la Cour de cassation semblent retenir qu'en l'absence
d'écrit, une collaboration payée à la pige ne peut être qu'à durée
indéterminée, la Cour d'appel de Paris, dans cet arrêt, part du principe
qu'une commande payée à la pige peut être un contrat à durée déterminée
mais que ce contrat doit être requalifiée en un contrat à durée
indéterminée s'il n'a pas été écrit. Si ces deux approches conduisent à
des conséquences identiques sur la nature du contrat (à durée
indéterminée donc), les sanctions attachées à la requalification d'un
contrat à durée déterminée irrégulier exposent l'employeur, outre autre
paiement de l'indemnité rappelée ci-dessus (un mois de salaire au
minimum), à une éventuelle sanction de nature pénale puisque l'article
L.1248-6 du Code du travail dispose que "le fait de ne pas établir
par écrit le contrat de travail à durée déterminée et de ne pas y faire
figurer la définition précise de son motif (...) est puni d'une amende
de 3 750 euros".
La Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 23 janvier 2013 a, à nouveau, très clairement jugé que : "Contrairement à ce que soutient la (Société appelante),
il n'existe légalement aucun «statut particulier dupigiste», en ce que
la pige n'est qu'un mode spécifique de rémunération du journaliste
devant s'inscrire dans le respect des dispositions d'ordre public sur le
contrat de travail à durée déterminée".
Une relation de travail payée à la pige pour une durée
limitée (celle de la pige) doit donc être conclue par écrit et respecter
les règles applicables aux contrats à durée déterminée.
Vianney FÉRAUD
Avocat au barreau de Paris
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Et l'ancienneté?
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