Les modalités de calcul de l'indemnité de licenciement d'un journaliste
sont fixées par l'article L7112-3 du Code du travail qui dispose que "le
salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant
un mois, par année ou fraction d'année de collaboration des derniers
appointements" (et ce dans la limite de 15 années d'ancienneté, cette
indemnité étant, pour les journalistes ayant une ancienneté supérieure, fixée
par la Commission arbitrale des journalistes (cf.
cette publication sur ce point).
Il n'est toutefois pas rare que, au cours
de l'exécution de son contrat de travail, un salarié, d'abord embauché pour
occuper des fonctions non-journalistiques, devienne ensuite journaliste
professionnel.
Une telle situation pose nécessairement
des difficultés au moment du calcul de son indemnité de licenciement ou de son
indemnité de rupture à la suite de l'exercice de la clause de cession ou de la
clause de conscience.
En 1947, une salariée est embauchée en
qualité de secrétaire sténodactylographe par une société de presse. Cette
collaboration est soumise à la convention collective de la presse.
En 1960, alors qu'elle travaille toujours
pour le même employeur, elle devient journaliste.
Elle est licenciée en 1963.
Son employeur lui verse alors une
indemnité dont le montant correspond d'une part à un mois par année
d'ancienneté pendant lesquelles elle a travaillé en qualité de journaliste
(1960 à 1963) et, d'autre part, au montant prévu par la convention collective
des entreprises de presse pour les années antérieures (lequel montant était
évidemment moins élevé que celui prévu pour les journalistes).
Les juridictions du travail sont saisies.
La salariée soutient que, journaliste au moment de son licenciement, elle
aurait dû percevoir l'indemnité légale de licenciement prévue pour les
journalistes au titre de toute la durée de la collaboration, soit de 1947 à
1963.
La Cour de cassation, par un arrêt du 19
décembre 1966 (soit 3 ans après le licenciement, preuve qu'à cette époque le
parcours judiciaire était plus rapide qu'aujourd'hui), valide le raisonnement
de l'employeur et confirme l'arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait
débouté la journaliste de ses prétentions.
Elle retient que la salariée "n'invoquait
aucune disposition de la convention collective des journalistes dont il
résulterait que, pour le calcul de l'indemnité de licenciement de l'article
29-D du livre 1er [devenu l'article L7112-3] du Code du travail,
pourrait être ajouté aux années d'emploi en qualité de journaliste
professionnel le temps de présence accompli dans les fonctions ne ressortissant
pas de cette activité" et elle en déduit que la salariée "ne
pouvait prétendre à ladite indemnité que pour la durée de ses fonctions de
journaliste".
Quelques années plus tard, le 11 décembre
1991, la même Cour de cassation devait examiner le pourvoi formé par un autre
journaliste.
Employé en 1958 en qualité de typographe,
il avait été nommé premier secrétaire de rédaction (et donc journaliste) en
1971.
Licencié en 1983, il avait perçu une
indemnité de licenciement calculée sur la base des seules annuités d'ancienneté
en qualité de journaliste.
A la différence du cas précédent, il
n'avait donc perçu aucun complément d'indemnité de licenciement au titre de la
période pendant laquelle il n'était pas journaliste.
Ce salarié réclamait de ce fait à son
employeur une somme égale au cumul des deux indemnités : celle due au titre de
la période pendant laquelle il n'avait pas été journaliste (25 ans) et celle
due au cours des années postérieures pendant lesquelles il avait ce statut de
journaliste.
Cependant, là encore, la Cour de cassation
a validé le calcul de l'indemnité de licenciement retenu par l'employeur.
Dans un arrêt du 11 décembre 1991, elle a
jugé :
"d'une part, qu'en vertu de l'article
L. 761-5 [devenu
l'article L7112-3] du Code du travail, le journaliste congédié du fait
de l'employeur a droit à une indemnité qui est calculée en fonction des seules
années passées dans l'exercice de la profession de journaliste, sauf pour
l'intéressé à lui préférer, si elle est plus favorable, l'indemnité légale de
licenciement prévue à l'article L. 122-9 [devenu l'article L1234-9] du
même Code, prenant en compte la totalité des années de service dans
l'entreprise"
"d'autre part, que sauf dispositions
contraires, non prévues en l'espèce, l'indemnité de congédiement de l'article
L. 761-5 [devenu
l'article L7112-3] ne peut non plus se cumuler avec une indemnité
conventionnelle de licenciement".
La solution est sévère puisqu'il
appartient au salarié qui n'a pas toujours été employé en qualité de
journaliste, soit de renoncer à obtenir une indemnité au titre de la période
pendant laquelle il n'a pas été journaliste, soit – si cela lui est plus
favorable – de demander le paiement d'une indemnité calculée sur toute la durée
du contrat de travail mais alors calculée sur la base de l'indemnité légale
désormais prévue à l'article L.1234-9 du Code du travail, c'est-à-dire (en
l'état) de 1/5 de mois par année d'ancienneté.
Un salarié qui n'aura, pendant 5 ans, pas
été employé en qualité de journaliste puis qui, pendant 4 ans par exemple, aura
travaillé en qualité de journaliste, aura droit à une indemnité égale soit à 9
années x 1 / 5 mois de salaire = 1,8 mois au titre de l'indemnité légale,
soit 2 années x 1 mois : 2 mois au titre de l'indemnité légale des
journalistes.
La "perte" peut être importante,
surtout lorsque le salarié a longtemps travaillé à d'autres fonctions que
celles de journaliste puisque, dans cette hypothèse, il ne peut pas prétendre à
l'application de la convention collective qui était alors applicable à la
relation de travail.
Pour les salariés ayant travaillé au moins
15 ans en qualité de journaliste professionnel, la Commission arbitrale des
journalistes est souveraine pour fixer le montant total de l'indemnité de
licenciement. Rien de lui interdit donc, dans ce cadre et pour atténuer la
sévérité de la règle de prendre en considération la durée totale du contrat de
travail et donc la période pendant laquelle le journaliste ne l'était pas.
Dans le cas - a priori plus rare - où
après avoir travaillé en qualité de journaliste professionnel, un salarié
occupait au moment de son licenciement des fonctions non-journalistiques,
l'indemnité de licenciement doit être calculée selon les règles conventionnelles
applicables à la relation de travail au moment de la rupture du contrat.
En effet, sauf disposition contraire,
l'indemnité conventionnelle de licenciement due au salarié est, selon la Cour
de cassation, celle prévue "pour la catégorie à laquelle il appartient
au moment de la rupture de son contrat de travail en prenant en compte toute la
durée de son contrat de travail" (Cass. soc. 17 juillet 1996).
Dans un tel cas, il est donc nécessaire de
se référer à la rédaction de la convention collective.
Imaginons le cas d'un salarié employé
pendant 10 ans comme journaliste, relevant de la convention collective des
journalistes puis, toujours par le même employeur, employé pendant 5 ans
comme cadre administratif soumis à la convention collective des salariés cadres
des éditeurs de presse magazine.
Cette convention prévoit en son article 26
que l'indemnité de licenciement est fonction de l'ancienneté du salarié dans
l'entreprise et qu'elle s'élève à un mois par année d'ancienneté.
Ce salarié percevra donc une indemnité de
licenciement équivalente à 15 mois de salaire.
Dans la situation inverse (cadre
administratif pendant 10 ans puis journaliste pendant 5 ans), il n'aurait perçu
que 5 mois de salaire au même titre.
Ces solutions sont difficilement
justifiables en équité.
D'ailleurs, pour compliquer à l'envi
l'exercice, on pourrait s'interroger sur la façon de calculer l'indemnité de
licenciement d'un salarié qui a été employé, par le même employeur et au cours
du même contrat de travail, comme journaliste, puis comme cadre
administratif puis à nouveau comme journaliste, avant d'être licencié. Faut-il,
dans un tel cas, prendre en compte uniquement la dernière
période pendant laquelle le journaliste a exercé ces fonctions ou faut-il y
ajouter la période qui a précédé celle pendant laquelle il était cadre
administratif ?
Il reste qu'une fois encore – car c'est
également le cas lorsqu'il s'agit de déterminer le
montant minimal de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle ou
encore le
montant de l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des
agences de presse – le fait que le mode de fixation de l'indemnité de
licenciement des journalistes soit prévu par la loi et non pas par la
convention collective des journalistes se retourne contre eux
!