15 avr. 2015

La Commission arbitrale des journalistes n'est pas compétente en cas de départ volontaire du salarié dans le cadre d'un PSE



La Commission arbitrale des journalistes a une compétence limitée.

Cette compétence résulte des articles L.7112-3 et L.7112-4 aliéna 1er du code du travail qui disposent :

"Si l'employeur est à l'initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze".

"Lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due".

L'article 44 de Convention collective des journalistes prévoit également qu'elle est compétente, également pour fixer le montant de l'indemnité en cas de licenciement du journaliste pour faute grave.

Cette Commission arbitrale est donc uniquement amenée à fixer le montant total de l'indemnité de licenciement due en cas de licenciement d'un journaliste ayant plus de 15 années d'ancienneté au service du même employeur et/ou (sans condition d'ancienneté) en cas de licenciement d'un journaliste pour faute grave (cf. cette autre publication sur ce sujet)

Les décisions qu'elle rend ne sont pas susceptibles d'appel sauf par le bais d'un appel nullité, notamment lorsqu'elle statue en dehors de son champ de compétences.

Plusieurs salariés ont pu, à leurs dépens, le constater.

En octobre 2009, la Société Radio France Internationale (désormais France Médias Monde) envisageait de licencier pour motif économique de nombreux salariés.

De ce fait, ainsi que la loi l'y oblige, cette Société avait élaboré un projet de plan de sauvegarde de l'emploi.

Ce PSE prévoyait que les salariés potentiellement concernés par la suppression de leur poste pouvaient se porter volontaires au départ.

Un tel appel aux départs volontaires, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, est fréquent. Il vise évidemment à permettre aux salariés qui souhaitent quitter l'entreprise de partir et, par glissement, à ceux dont le contrat de travail aurait pu contre leur souhait être rompu de le poursuivre.

Au moins 4 journalistes de la Société Radio France Internationale, ayant plus de quinze ans d'ancienneté, se sont ainsi portés volontaires au départ.

Leurs candidatures ayant été retenues, ils ont conclu avec leur employeur une convention de rupture amiable pour motif économique.

Ces 4 salariés ont ensuite saisi la Commission arbitrale des journalistes pour que leur indemnité totale de congédiement soit fixée.

Cette Commission arbitrale ainsi saisie a statué sur ces demandes et a alloué aux journalistes des indemnités complémentaires à celles reçues au moment de la rupture de leurs contrats de travail.

La Société RFI a ensuite contesté cette décision et formé un appel nullité. Elle soutenait que la Commission arbitrale n'était pas compétente pour statuer, les salariés n'ayant pas été licenciés.

La Cour d'appel de Paris, par arrêts du 25 juin 2013, a jugé que la Commission arbitrale n'était effectivement pas compétente au motif que "toute rupture d'un contrat de travail procédant d'un motif économique n'entraîne pas nécessairement les effets d'un licenciement".

La Cour d'appel relève "qu'à cet égard, la rupture amiable d'un contrat de travail pour motif économique ensuite d'un départ volontaire dans le cadre d'un plan social de sauvegarde de l'emploi mis en oeuvre après information et consultation du comité d'entreprise, ne constitue pas une rupture à l'initiative de l'employeur mais une résiliation amiable du contrat de travail".

Elle en déduit qu'en se déclarant compétente et en fixant l'indemnité de licenciement due aux salariés, "la commission arbitrale a méconnu sa compétence en excédant les limites de son pouvoir juridictionnel".

Par voie de conséquence, elle a annulé la sentence rendue par la Commission arbitrale.

On apprend pourtant, à la lecture de cet arrêt que, lors d'une réunion du comité d'entreprise, le représentant de RFI avait reconnu aux salariés concernés le droit de saisir la Commission arbitrale des journalistes.

Une telle reconnaissance était toutefois, pour la Cour d'appel de Paris "indifférente", dès lors qu'elle étant sans conséquence sur l'étendue du pouvoir juridictionnel de la commission arbitrale tel que fixée par les dispositions légales.

Cette décision produit de lourdes conséquences puisque, en pratique, elle prive ces salariés d'une indemnisation pour leurs années d'ancienneté supérieures à 15 (ils avaient reçu l'indemnité pour les années antérieures au moment de leur départ de la société).

Ces journalistes - qui ont donc dû restituer les indemnités allouées par la Commission arbitrale - ont formé un pourvoi en cassation.

Dans un arrêt du 9 avril 2015, la Cour de cassation rappelle tout d'abord "qu'il résulte des dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail que la saisine de la commission arbitrale suppose, outre la condition d'une ancienneté excédant quinze années, une rupture à l'initiative de l'employeur".

Elle constate ensuite que la rupture du contrat de travail pour motif économique peut "résulter non seulement d'un licenciement mais aussi d'un départ volontaire dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi".

Approuvant l'analyse de la Cour d'appel de Paris selon laquelle le  contrat de travail des journalistes avait fait l'objet d'une résiliation amiable, "ce qui excluait une rupture à l'initiative de l'employeur", elle en déduit que la Commission arbitrale des journalistes n'était effectivement pas compétente.

Le pourvoi des journalistes est donc rejeté et la décision de la Cour d'appel de Paris est confirmée.

La solution arrêtée par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 avril 2015 n'allait pas de soi.

S'il n'est pas contestable qu'une résiliation du contrat de travail à l'amiable n'est pas une rupture du contrat à l'initiative du (seul) employeur, c'est tout de même bien ici cet employeur qui avait pris l'initiative d'une procédure de licenciements collectifs et le départ volontaire du salarié ne inscrivait dans le cadre du PSE. 

D'ailleurs, la rupture amiable du contrat de travail dans le cadre d'un PSE permet au salarié, bien que volontaire au départ, de prétendre à une prise en charge par POLE EMPLOI.
Quoi qu'il en soit, cette jurisprudence risque de dissuader les départs volontaires des journalistes ayant plus de 15 ans d'ancienneté dans le cadre d'un PSE.

Ils préféreront évidemment attendre un éventuel licenciement pour motif économique car, dans un tel cas, la compétence de la Commission arbitrale n'est pas contestable.

Cela étant, cette jurisprudence de la Cour de cassation n'est pas nouvelle, déjà, dans un arrêt du 9 juillet 2003, elle avait jugé qu'un journaliste qui s'était porté volontaire à un départ à la retraite dans le cadre d'un plan social ne pouvait prétendre à l'indemnité de licenciement prévue pour les journalistes et ce au motif que  "si la rupture du contrat de travail pour un motif économique est soumise, pour sa mise en oeuvre, aux dispositions sur le licenciement économique en vertu de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail alors applicable, il n'en résulte pas que toute rupture d'un contrat de travail procédant d'un motif économique entraîne les effets d'un licenciement ; que le départ volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan social constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre pas droit à l'indemnité de congédiement mentionnée à l'article L. 761-5 susvisé, laquelle n'est due que lorsque le congédiement provient du fait de l'employeur". 

L'alternative consiste à ce que le PSE prévoit clairement le montant total de l'indemnité versée aux journalistes ayant plus de 15 ans, volontaires au départ.

En outre, si la Commission arbitrale des journalistes n'est pas compétente dans un tel cas, on pourrait se demander si le Conseil de prud'hommes ne le devient pas. Il est probable que cette juridiction retiendrait sa compétence pour statuer mais qu'elle ne pourrait pas pour autant, en se subsistant à la Commission arbitrale, allouer au journaliste une indemnité pour ses années d'ancienneté supérieures à 15 ans. Il est tout autant probable que cette juridiction se contenterait de vérifier que les conditions et effets des départs volontaires dans le cadre du PSE ont été respectés.

Il faut en tout cas retenir que la Cour de cassation veille au respect par la Commission arbitrale de sa compétence.

Par exemple, dans un arrêt du 12 octobre 2011, elle avait déjà retenu que cette Commission ne pouvait statuer pour arrêter le montant total de l'indemnité de licenciement d'un salarié qui, bien que soumis à la convention collective des journalistes, n'était pas journaliste (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Même si la Cour de cassation ne s'est à ce jour pas prononcée sur ce point, on peut facilement imaginer qu'elle jugerait que la Commission arbitrale n'est pas plus compétente pour déterminer le montant de l'indemnité dû à un journaliste ayant plus de 15 ans d'ancienneté dans le cadre d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une rupture "à l'initiative de l'employeur". La validité des ruptures conventionnelles conclues avec un journaliste ayant plus de 15 ans d'ancienneté est d'ailleurs contestable (cf. cette autre publication sur ce sujet).

En revanche, la compétence de cette Commission arbitrale en cas de clause de cession ou de clause de conscience n'est pas contestable.

En effet, même s'il ne s'agit pas, dans de tels cas, d'une rupture du contrat "à l'initiative de l'employeur", l'article L7112-5 du Code du travail prévoit clairement que : "si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 [sur la compétence de la Commission arbitrale lorsque le journaliste a plus de 15 ans d'ancienneté] sont applicables" lorsque cette rupture est motivée par la cession ou par la clause de conscience.