En
1986, une journaliste commence à travailler pour une Société de presse.
Elle
est payée régulièrement à la pige.
Dans
le cadre de ses activités de journaliste culinaire, cette salariée est amenée à
manipuler des cartons de matériels de cuisine parfois très lourds.
Comme
beaucoup de journalistes payés à la pige, elle n'est pas vraiment considérée
comme salariée - titulaire d'un (vrai) contrat de travail - par la Société de
presse.
En
particulier, on ne lui fait pas passer de visite médicale lors de son embauche en
1986 et elle n'est, par la suite, convoquée à aucune visite périodique par la
médecine du travail (pourtant obligatoire au moins tous les 2 ans).
En
2009, c'est-à-dire 23 ans après le début de cette collaboration, la journaliste
est victime d'un accident du travail lors de la manipulation d'un colis.
A
la suite de cet accident, elle est placée en arrêt maladie pendant presque deux
ans.
A
l'issue de cet arrêt maladie, la journaliste payée à la pige demande à son
employeur de lui faire passer la visite de reprise auprès de la médecine du
travail ainsi que le prévoit l'article R4624-22 du Code du travail.
Le
médecin du travail, qui voit donc cette journaliste pour la première fois, la déclare
inapte à son poste de travail.
Elle
est licenciée.
La
salariée saisit ensuite le tribunal aux affaires de sécurité sociale d'une
demande de reconnaissance de la faute inexcusable commise par son employeur
dans le cadre de l'accident du travail dont elle a été victime.
Elle
soutient notamment que cette faute inexcusable est caractérisée par le fait que
son ancien employeur ne lui a pas fait passer les visites médicales, lesquelles
auraient pu permettre d'éviter l'accident du travail dont elle a été victime.
On
sait que l'intérêt de faire juger qu'une faute inexcusable a été commise est de
permettre au salarié victime d'un accident du travail (ou d'une maladie
professionnelle) d'obtenir une meilleure indemnisation de ses préjudices et un
doublement de la rente versée par la CPAM.
Le tribunal
aux affaires de sécurité sociale fait droit à la demande de la journaliste.
La
Société de presse interjette appel du jugement.
Elle
soutenait notamment que la journaliste étant pigiste, elle n'avait pas, de ce
fait, à lui faire passer de visite médicale auprès de la médecine du travail.
Par
un arrêt du 19 mai 2016, la Cour d'appel de Versailles confirme le jugement de
première instance.
Pour
reconnaître cette faute inexcusable, la Cour d'appel retient que :
"la société Bauer se devait de respecter les dispositions de la
convention collective des journalistes du 1er novembre 1976 qui
prévoit notamment, en son article 21, que les visites médicales d’embauche, périodique
et de reprise sont obligatoires, conformément à la loi.
Les articles R. 4624-10, R. 4624-16, R.4624-17 et R.4624-20 du code du
travail imposent aux employeurs de soumettre leurs salariés à des visites
médicales d’embauche, à des visites médicales périodiques, tous les deux ans,
ou même à des visites médicales demandées par le salarié ou à son initiative et
à des visites médicales de reprise.
L’employeur qui n’organise pas ces visites médicales obligatoires commet un
manquement fautif à son obligation de sécurité de résultat".
Elle ajoute que "au surplus, en ne respectant pas son
obligation d’organiser les visites médicales obligatoires imposées par le code
du travail et la convention collective applicable, la société BAUER s’est
volontairement privée des avis du médecin du travail et de ses préconisations
pour prévenir le risque d’un accident ou d’une maladie professionnels et sur
l’éventuelle nécessité de proposer à la salariée une formation à la
manutention".
Elle en déduit que la Société de presse a bien commis une faute inexcusable
en lien avec l'accident du travail dont a été victime la journaliste pigiste.
Faute de suivi par la médecine du travail qui aurait
pu préconiser une formation à la manutention et/ou une adaptation du poste de
la salariée et ainsi réduire le risque d'un tel accident du travail, la
journaliste pigiste a eu cet accident qui lui a causé d'importantes séquelles,
a perdu son emploi et est désormais inapte à l'exercer.
Dans un arrêt du 2
mai 2016, la Cour d'appel de Paris a, de son côté, condamné une autre société
de presse qui employait depuis de nombreuses années une journaliste payée à la
pige sans lui avoir jamais fait passer de visite auprès de la médecine du
travail.
La Cour après avoir relevé que la
pigiste "n’a été soumise à aucune
visite médicale, ni à l’embauche ni périodiquement, ce en violation des
dispositions de l’article 21 de la convention collective combinées avec celles
de l’article R4624-16 du code du travail" estime que ce manquement a
occasionné une faute causant un préjudice à la salariée et elle a condamné la
Société PRISMA MEDIA à lui payer une somme de 1000 euros à titre de
dommages-intérêts.
Ces décisions ne peuvent qu'être approuvées.
Ce n'est en effet
évidemment pas parce qu'un journaliste est payé à la pige qu'il ne peut
prétendre à l'application des règles légales et conventionnelles sur la santé
au travail.
L'article
21 de la Convention collective des journalistes cité dans ces deux arrêts prévoient
clairement que "les visites médicales
d'embauche, périodiques et de reprise sont obligatoires conformément à la loi".
Il
ne fait donc aucune distinction entre les journalistes payés à la pige et ceux
payés au temps passé.
L'application
de ce texte aux journalistes payés à la pige ne fait d'ailleurs aucun doute
puisque le préambule de l'accord étendu du 7 novembre 2008 relatif aux journalistes rémunérés
à la pige rappelle que :
"Le journaliste professionnel rémunéré à
la pige relève par conséquent des dispositions du code du travail, ainsi que le
prévoit expressément l'article L. 7111-1 de ce code, et des dispositions de la
convention collective nationale de travail des journalistes".
S'agissant des
modalités de financement, ledit accord expose clairement en son article VI, sous le titre "Médecine du travail", que "les entreprises adhéreront, dans un cadre de
mutualisation, pour les pigistes non couverts par des services médicaux
d'entreprise ou inter-entreprises, dans un délai de 6 mois après la signature
du présent accord, au centre médical de la bourse (CMB) et prendront en charge
les frais liés aux visites médicales (art. R. 4624-10 et suivants du code du
travail) pour les journalistes rémunérés à la pige. Ces derniers devront
produire leur certificat d'aptitude sur simple demande de l'entreprise".
On voit en tout cas
que le fait ne pas reconnaître à un journaliste les droits dont il doit
bénéficier par application de la loi et/ou de la convention collective, au
motif qu'il est payé à la pige est un choix qui peut avoir de lourdes conséquences
d'abord évidemment pour le salarié comme cela a été le cas dans l'affaire jugée
par la Cour d'appel de Versailles mais également pour l'employeur qui devra, en
l'occurrence, supporter le coût supplémentaire lié à la reconnaissance de la
faute inexcusable, notamment par l'augmentation des cotisations d'accidents du
travail et maladies professionnelles qu'il devra verser.
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