Depuis
le 1er janvier 2009, la possibilité d'être salarié tout en percevant
une pension de retraite a été simplifiée
et nombreux retraités continuent donc d'exercer un travail tout en ayant
officiellement pris leur retraite.
Les
journalistes peuvent évidemment bénéficier de ce cumul.
Celui-ci
n'est toutefois pas sans incidence sur leur statut professionnel.
On
sait que conformément aux termes de l'article
L7111-3 du Code du travail "est journaliste professionnel toute
personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de
sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications
quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de
ses ressources" (cf. cette autre publication sur ce sujet)
Ne peut
prétendre au statut de journaliste professionnel que celui qui remplit
l'ensemble des conditions posées par ce texte et notamment celui qui tire de
ses revenus de journaliste l'essentiel (c'est-à-dire au moins la moitié) de ses
ressources.
Un
journaliste qui avait pris sa retraite en 1994 et qui percevait donc à ce titre
une pension, avait été embauché en 1995 par une société de presse. Il écrivait
une rubrique et recevait chaque mois un salaire.
En 2012,
arrivé à l'âge de 80 ans, ce salarié invoque la clause de cession et réclame
donc le paiement des indemnités de licenciement.
Son employeur
refuse de reconnaître que les conditions pour invoquer cette clause sont réunies
et le salarié saisit donc le conseil de prud'hommes.
Devant cette
juridiction, l'employeur faisait valoir que son salarié ne pouvait prétendre au
bénéfice de la clause de cession car il n'avait pas le statut de journaliste
professionnel. L'argument principal avancé était que son salarié percevait une
pension de retraite d'un montant plus élevé que son salaire.
La condition
posée par l'article L7111-3 du Code du travail selon laquelle le
journaliste professionnel doit tirer le principal de ses ressources de
l'exercice de sa profession n'était donc pas remplie.
Le salarié répondait que la pension de
retraite qui lui était versée était liée à son activité de journaliste.
Il avançait également le fait qu'il
était titulaire d'une carte de presse honoraire, attribué à vie.
En première instance, le conseil de
prud'hommes de Bordeaux avait fait droit à la demande du salarié.
Pour reconnaître le statut de journaliste professionnel à
ce salarié au moment de la rupture du contrat de travail, les premiers juges
avaient retenu que son activité de journaliste "représentait le principal
de ses resources hors sa pension de retraite qui ne peut être considérée comme
un revenu du travail".
Cette analyse
était contestable car l'article L7111-3 du Code du travail ne vise pas
simplement les "revenus du travail" mais bien les
"ressources", notion assurément plus large qui peut inclure les
pensions de retraite.
La Cour
d'appel de Bordeaux, dans un arrêt du 28 janvier 2014, a infirmé cette
décision.
La Cour
constate que le montant de la pension de retraite perçu par l'ancien
salarié correspondait au double de son salaire. Dès lors, selon la Cour, le
salarié ne tirait pas de son activité au sein de la société de presse
"l'essentiel de ses ressources".
Elle en
déduit que ce salarié ne remplissait pas toutes les conditions visées à l'article
L.7111-3 du code du travail et qu'il n'avait donc pas le statut de journaliste
professionnel.
La Cour
observe encore que, selon l'article L7111-6 du Code du travail, c'est "l'ancien journaliste professionnel" qui peut
bénéficier d'une carte d'identité de journaliste professionnel honoraire.
La Cour
constatant que l'ancien salarié n'avait pas (plus) le statut de journaliste
professionnel, retient qu'il ne peut bénéficier des dispositions relatives à la
clause de cession.
Cette
solution est, en droit, peu critiquable. La notion de "ressources"
visée à l'article L.7111-3 du Code du travail ne pouvant, sauf à réécrire la
loi, que difficilement être limitée aux simples revenus du travail actif.
Dans le même sens, on peut citer la Cour d'appel de Bastia qui, par un arrêt du 4 septembre 2013, a refusé de reconnaître la qualité de journaliste professionnelle à une personne au motif que "l'essentiel de ses ressources était constitué d'une pension alimentaire".
On aura
compris que la solution arrêtée par la Cour d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 janvier 2014 n'interdit pas pour autant à un retraité continuant
à exercer un emploi de journaliste de prétendre au statut de journaliste
professionnel dès lors qu'il justifie tirer de son activité journalistique une
rémunération d'un montant supérieur à celui de sa pension de retraite.
Cet arrêt de
la Cour d'appel de Bordeaux peut toutefois être rapproché de celui rendu par le
Conseil d'Etat le 20 novembre 2013.
Cette
procédure, engagée devant les juridictions administratives, concernait
l'application de l'abattement dont bénéficient les journalistes professionnels
dans le cadre de l'impôt sur le revenu à un retraité qui continuait à
travailler.
Le salarié avait déclaré à l'administration fiscale au
titre des années 2001 à 2003 des salaires d'un montant calculé après
application de la déduction de 7 650 euros prévue par l'article 81 du code
général des impôts prévoyant que "sont
affranchis de l'impôt : (…) les rémunérations des journalistes (…) à
concurrence de 7 650 euros (...)"
L'administration fiscale contestait le bénéfice de ce
régime au "salarié retraité".
Par arrêt du 31 mars 2011, la Cour administrative
d'appel de Paris avait confirmé le jugement du 4 février 2009 du tribunal
administratif de Melun rejetant la demande du salarié visant à être déchargé
des impositions supplémentaires liés à la non-application de l'abattement.
La Cour d'appel avait en effet relevé que pour
l'application de l'article 81 du Code général des impôts, "les journalistes
s'entendent de ceux qui ont pour occupation principale, régulière et rétribuée
l'exercice de leur profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes
ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tirent le
principal de leurs ressources", reprenant ainsi, mot à mot, les termes de
l'article L761-2 du Code du travail
alors en vigueur (devenu depuis, après modification l'article L7111-3 du Code du travail ).
Or elle avait constaté que le contribuable "qui,
au cours des années en litige, était retraité", ne contestait pas qu'il ne
tirait pas de son activité journalistique salariée "le principal de ses
ressources. De ce fait, il ne
pouvait pas "prétendre à la qualité de journaliste au sens des
dispositions de l'article 81 du code général des impôts et, par suite, au
bénéfice de la déduction visée par cet article".
Le Conseil d'Etat censure cette analyse.
Il retient que "pour l'application de ces
dispositions aux contribuables exerçant leurs activités dans la presse écrite,
doivent être regardées comme journalistes les personnes apportant une
collaboration intellectuelle permanente à des publications périodiques en vue
de l'information de lecteurs ; que cette collaboration s'entend d'une activité
exercée à titre principal et procurant à ces personnes la part majoritaire de
leurs rémunérations d'activité".
Il en déduit que la Cour administrative d'appel a
commis une erreur de droit et qui lui incombait de rechercher si la
rémunération retirée de l'activité en cause par le contribuable constituait ou
non le principal de ses "rémunérations d'activité".
L'analyse du Conseil d'état en ce qu'elle fait état
des "rémunérations d'activité" est donc différente de celle retenue par
la Cour d'appel de Bordeaux qui s'en tient elle aux termes de la loi :
"les ressources".
Ce n'est pas la première fois que les juridictions
administratives et judicaires ont des positions divergentes lorsqu'il s'agit
d'apprécier si une personne peut ou non prétendre au statut de journaliste
professionnel.
Pour la délivrance de la carte de presse par exemple,
les juridictions administratives ont depuis longtemps considéré que le fait que
l'employeur soit ou non une société de presse importait peu alors que la Cour
de cassation, jusqu'à une date récente, ne reconnaissait le statut de
journaliste professionnel qu'à ceux qui étaient employés par une société ou
une agence de presse (cf. cette autre publication sur ce sujet)
Certes le Conseil d'Etat prend soin de préciser dans
son arrêt du 20 novembre 2013 que son analyse n'est limitée qu'à l'application
de l'article 81 du Code général des impôts mais on devine que cette notion de "revenus
d'activités" pourrait s'appliquer à d'autres situations lorsqu'il s'agira de rechercher si une personne peut ou non prétendre au statut de journaliste professionnel.
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