Le fait de payer un
journaliste ou assimilé à la pige déroge aux règles habituelles en ce
que le montant de la pige est fonction de la tâche accomplie et non pas
du temps de travail passé à la réalisation de cette tâche.
Pour autant, la notion de temps ne devrait pas être totalement
absente dans un contrat de travail rémunéré à la pige, la Cour de
cassation exigeant par exemple que les journalistes soient payés au
moins sur la base du SMIC "pour le nombre d'heures qu'ils ont effectué, ou qu'ils ont consacré à la réalisation de chaque pige" (cf. cette autre publication sur ce point).
En pratique, pour vérifier que ce plancher est respecté, l'employeur
devrait donc apprécier la durée de travail consacrée à la réalisation de
chaque pige.
On sait par ailleurs que lorsqu'un pigiste est employé de façon
régulière, il bénéficie de fait d'un contrat à durée indéterminée,
obligeant son employeur à continuer à lui fournir du travail et à
respecter les règles applicables en cas de rupture de ce contrat à durée
indéterminée.
En particulier, l'employeur ne peut pas unilatéralement diminuer de
façon significative la rémunération du pigiste régulier, sauf à
s'exposer à un rappel de salaires, voire à être condamné pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse (cf. cette autre publication sur ce point).
C'est évidemment généralement lorsque la relation de travail a pris
fin ou que le montant des piges a considérablement baissé, que le
pigiste régulier saisit les tribunaux afin de faire juger que la rupture
de son contrat doit être assimilée à un licenciement abusif et de
solliciter un rappel de salaires.
Rien n'interdit pour autant à un journaliste de faire fixer ses
droits par les juridictions alors qu'il est toujours salarié de
l'entreprise.
C'est ce qu'a fait un journaliste, employé par une importante société de presse écrite.
Ce salarié, photographe reporter, avait commencé à "piger" pour cette société en 1981.
La collaboration s'est poursuivie de façon très régulière, le
salarié recevant chaque mois un bulletin de paye portant mention d'une
rémunération à la pige, plus ou moins variable selon les mois.
A partir de 2007, le volume des piges et la rémunération qui en
découle ont commencé à baisser même si la collaboration s'est poursuivie
de façon régulière.
Le journaliste a alors décidé de saisir le Conseil de prud'hommes
d'une demande de reconnaissance d'un contrat à durée indéterminée.
La collaboration s'est encore poursuivie pendant la durée de la procédure judiciaire.
Après avoir été débouté de l'ensemble de ses demandes par le
Conseil de prud'hommes, le journaliste a saisi la Cour d'appel de
Versailles.
Le 26 novembre 2009, cette Cour d'appel a rendu un arrêt dans
lequel elle a jugé que le journaliste, pigiste régulier, bénéficiait
d'un contrat à durée indéterminée. Cela est désormais classique. Mais,
et c'est plus inhabituel, la Cour a également estimé que ce contrat à
durée indéterminée correspondait à un contrat à temps partiel à hauteur
de 60%.
Les magistrats en déduisent que le salarié était dès lors en droit
de percevoir un salaire correspondant au moins à 60 % du minimum
conventionnel applicable à son statut.
Sur cette base, l'entreprise de presse est donc condamnée à verser à
ce journaliste un rappel de salaire correspondant à la différence entre
60 % d'un salaire plein et le montant des piges qu'il a effectivement
reçu.
Cette solution mérite d'être soulignée car généralement, en cas de
baisse des piges, les Tribunaux accordent aux pigistes réguliers des
rappels de salaires, calculés non pas en fonction des salaires
conventionnels applicables, mais par référence au montant des piges
qu'ils percevaient avant la baisse jugée fautive (cf. cette autre publication sur ce point ou encore celle-ci).
Ici, les juges, pour retenir l'existence d'un contrat à temps
partiel, ont donc privilégié le temps passé à son travail par le pigiste
et ce au détriment de la rémunération qu'il a reçue.
Une étape supplémentaire semble avoir été franchie car le pigiste
régulier va bénéficier d'un contrat à durée indéterminée et, désormais,
également d'une rémunération calculée non plus en fonction des tâches
effectuées mais en considération du temps effectivement passé à son
travail.
Bref, ce journaliste n'est plus pigiste régulier, il devient salarié employé à temps partiel.
La situation du journaliste se trouve également confortée pour l'avenir.
Son employeur devra continuer à lui verser la rémunération
correspondant à un emploi à 60% d'un temps plein, sans pouvoir la faire
varier d'un mois sur l'autre comme c'est le cas pour un pigiste, même
régulier.
Au moment de la rupture de son contrat, ses droits auront d'ores et déjà été précisés...
Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 6 juillet 2011, la Cour de cassation a rejeté ce
pourvoi et a donc approuvé la solution dégagée par les juges du fond.
La difficulté de cette solution tient bien évidemment à la
nécessité d'évaluer le temps partiel, dès lors que les contrats de pige
ne font pas (ou, en tout cas, que très rarement) référence au temps
passé.
Un contrat de travail à durée indéterminée est, lorsqu'il n'est pas
écrit (ce qui était le cas en l'espèce), présumé être à temps complet.
La preuve contraire peut toutefois être apportée par l'employeur.
Le salarié demandait d'ailleurs à la Cour d'appel de Versailles de
qualifier la relation de travail de contrat à durée indéterminée à temps
plein.
ici, la Cour, pour retenir un temps partiel à 60% indique, dans son arrêt, avoir tenu compte du "volume de travail résultant des mentions portées sur les bulletins de paie depuis 2001" (sans autre précision) et "des modalités d'exécution du travail au sein de l'agence n'imposant pas une présence selon temps complet".
Pour déterminer ce temps de travail, une autre voie aurait pu être
suivie en comparant simplement le montant des piges versées avant la
baisse fautive au montant du salaire d'un journaliste employé à temps
plein. C'est d'ailleurs la logique qui a été suivie dans l'accord du 7
novembre 2008, pour déterminer le montant de la prime d'ancienneté des
pigistes (cf. cette autre publication sur ce point).
Il reste que la solution dégagée par la Cour d'appel de Versailles
et la Cour de cassation, tend à mettre fin au statut atypique du pigiste
régulier en en faisant un salarié "ordinaire".
Vianney FERAUD
Avocat au barreau de Paris
commentaires
Quel résultat pour le pgisite ?
Lisant votre note, je reste sur ma faim : le photographe a-t-il été embauché par l'entreprise ou est-il toujours en procès ?
Cordialement
Greg
Le but de l'action était
précisément de faire reconnaître que le journaliste payé à la pige
était, de fait, salarié sous contrat à durée indéterminée à temps
partiel. La Cour de cassation ayant confirmé l'arrêt d'appel, la
procédure judiciaire est terminée. Le salarié n'avait pas besoin d'être
formellement embauché par l'entreprise, la décision de l'arrêt d'appel
s'est imposée.
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