L'idée selon
laquelle les journalistes et assimilés, même employés à temps plein par
une entreprise, peuvent effectuer des piges pour le compte d'autres
sociétés est répandue.
Ce qui est en revanche moins connu, c'est que ces
collaborations extérieures sont soumises aux conditions posées par
l'article 7 de la convention collective des journalistes.
Les récents déboires d'un célèbre journaliste sportif en attestent.
Cet article 7 indique en ses deux premiers alinéas que : "les
collaborations extérieures des journalistes professionnels employés
régulièrement à temps plein ou à temps partiel doivent au préalable être
déclarés par écrit à chaque employeur. L'employeur qui les autorisera
le fera par écrit en précisant, s'il y a lieu, les conditions, notamment
celle d'être informé de leur cessation. Faute de réponse dans un délai
de 10 jours pour les quotidiens, les hebdomadaires et les agences de
presse et de 1 mois pour les périodiques, cet accord sera considéré
comme acquis. Si l'employeur estime qu'une ou plusieurs collaborations
extérieures est ou sont de nature à lui porter un préjudice
professionnel ou moral, il peut refuser de donner son accord en motivant
sa décision. L'accord ou le refus peuvent être remis en question si les
conditions qui les ont déterminées viennent à être modifiées".
Par exception, il est toutefois prévu au troisième alinéa de ce même article qu'"en
cas de collaboration à caractère fortuit, le journaliste professionnel
peut exceptionnellement être dispensé de l'autorisation dès lors que
cette collaboration ne porte aucun préjudice à l'entreprise à laquelle
il appartient".
Sont donc distinguées, sans pour autant être clairement
définies, les collaborations extérieures régulières et celles qui ne
sont que "fortuites".
Les premières doivent faire l'objet d'une déclaration et, même en réalité, d'une demande d'autorisation préalable de la part du
journaliste alors que les secondes ne nécessitent pas l'accord de
l'employeur si elles ne lui portent pas préjudice. Cette notion de
"préjudice" est évidemment sujette à interprétation.
Les autorisations prévues à l'article 7 de la convention collective des journalistes ne s'appliquent qu'aux "journalistes professionnels employés régulièrement à temps plein ou à temps partiel"
et ne semble donc pas concerner les pigistes. De fait, on voit
mal comment un pigiste pourrait recueillir l'autorisation de
l'ensemble de ses employeurs à chaque fois qu'il réalise une pige.
L'article 7 prévoit toutefois, en son dernier aliéna, que "l'employeur
peut demander à titre d'information aux journalistes professionnels
employés à titre occasionnel de déclarer leurs autres collaborations
habituelles".
Les collaborations extérieures des journalistes donnent régulièrement lieu à des contentieux.
La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 31 mai 2011, a
été amenée à examiner le cas d'un journaliste, photographe reporter, qui
avait été licencié par l'agence de presse qui l'employait à temps plein
pour avoir, alors qu'il se trouvait, dans le cadre de l'exécution de
son contrat de travail, sur les lieux d'un reportage consacré aux
émeutes dans les banlieues, été rémunéré par une autre société de presse
qu'il avait aidé à réaliser un reportage audiovisuel consacré au même
sujet.
Cette collaboration extérieure n'avait été ni déclarée par
le journaliste ni, a fortiori, été autorisée par son employeur.
L'agence de presse avait, pour motiver le licenciement du journaliste, indiqué dans la lettre de rupture : "la
direction de l'agence tient à vous aviser qu'elle attache un prix
particulier à ce que, conformément à la lettre et à l'esprit de
l'article 7 de la convention collective des journalistes, vous déclariez
obligatoirement, par écrit à la direction de votre rédaction, les
collaborations extérieures que vous pourriez envisager qu'elles soient
sous votre propre nom, anonyme ou sous un pseudonyme".
La Cour d'appel de Paris relève toutefois que la
collaboration du journaliste présentait un caractère imprévu (c'est
parce qu'il se trouvait déjà sur place que son concours avait été
sollicité par une autre entreprise).
Dans cette hypothèse, l'absence de demande d'autorisation
préalable n'était donc pas, en application de "la lettre" de l'article 7
de la convention collective des journalistes, fautive.
Restait donc, toujours en application de cet article 7, à
apprécier si cette collaboration extérieure à caractère fortuit avait ou
non porté un préjudice à l'employeur (principal) du journaliste.
La Cour rappelle tout d'abord que la charge de la preuve
d'un tel préjudice pèse sur l'employeur à l'origine de la rupture du
contrat de travail.
Or, elle estime qu'une telle preuve n'est, en l'espèce, pas rapportée.
Elle relève en effet que l'agence de presse avait pu
exploiter "à titre exclusif" les photographies prises par son salarié
dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et ce bien avant
la diffusion télévisée du reportage réalisé par la société à laquelle le
journaliste avait ponctuellement apporté son concours.
Pour la Cour, cette collaboration du salarié ne pouvait dès
lors s'analyser en une activité concurrentielle et déloyale vis-à-vis
de son employeur et le licenciement de ce journaliste est jugé abusif.
Cet arrêt du 31 mai 2011 a été confirmé, sur ce point, par la Cour de cassation le 10 juillet 2013.
Dans un autre arrêt, en date du 15 janvier 2008, la Cour
d'appel a examiné le cas d'un journaliste, grand reporter, qui avait
lui, conformément aux termes de l'article 7 de la convention collective
des journalistes, sollicité et obtenu de son rédacteur en chef,
l'autorisation de collaborer avec une entreprise concurrente.
L'employeur avait ultérieurement appris que ce journaliste
était détenteur de 50 % du capital social de cette autre société dont il
était également le gérant et qu'il était directeur de la revue
concurrente à laquelle il collaborait.
Il a, pour ces motifs, procédé au licenciement pour faute grave de ce journaliste.
La lettre de licenciement était rédigée ainsi :
"Vous
êtes journaliste professionnel tout comme le signataire de cette
autorisation et à ce titre vous ne pouvez donc ignorer ce que la
profession considère comme une collaboration extérieure. Il s'agit d'une
participation limitée et ponctuelle à un autre magazine.
(...)
Nous
constatons que vous avez volontairement donné à [votre rédacteur en
chef] des informations incomplètes dans le but de le conduire à vous
signer l'autorisation que vous avez sollicitée.
Cette
autorisation obtenue, vous avez cru pouvoir jouer un rôle déterminant
au sein d'un magazine directement concurrent des magazines du groupe au
sein duquel vous êtes salarié.
Au cours de cette collaboration vous avez, en outre, signé un éditorial [sous votre nom] utilisant la notoriété du titre auquel vous êtes rattaché et renforçant ainsi la concurrence portée aux titres du groupe.
Compte tenu de la proximité des sujets que vous avez traités dans [le magazine pour lequel il était employé à temps plein par son employeur] et dans [le magazine concurrent] nous ne pouvons que constater que vous avez détourné les moyens [que nous avons ] mis à votre disposition pour réaliser les articles [du magazine concurrent]".
La Cour d'appel de Paris estime, là encore, que ce licenciement était abusif.
Elle observe que le salarié avait demandé à son rédacteur
en chef une autorisation écrite afin de pouvoir collaborer avec le
magazine concurrent et que cette autorisation lui a été accordée "sans
restriction" et ce alors que l'article 7 de la convention collective des
journalistes prévoit qu'il aurait pu en préciser "les conditions".
Bref, pour la Cour, "aucun
élément ne permet d'établir quel était le degré de la participation
autorisée, ni que cette collaboration consistait en une participation
limitée et ponctuelle".
De fait, si le salarié avait pris soin de demander une
autorisation écrite, c'est parce que, en application de l'article 7 de
la convention collective des journalistes et contrairement à ce que
prétendait son employeur, une "collaboration extérieure" n'est pas
forcément une participation limitée et ponctuelle à un autre magazine.
En outre, pour la Cour, il n'est pas établi, qu'au moment
où il a sollicité et obtenu l'autorisation de collaboration, le
journaliste ait volontairement donné des informations incomplètes dans
le but d'obtenir la signature de l'autorisation sollicitée afin de jouer
un rôle déterminant au sein d'un magazine concurrent.
Enfin, la Cour observe encore que "l'employeur avait la faculté de remettre en cause ses collaborations extérieures, ce qui n'a pas été le cas".
En effet, l'article 7 de la convention collective des journalistes
prévoit très clairement que l'autorisation donnée à un salarié de
collaborer avec une entreprise extérieure peut être révoquée.
Le salarié obtient donc des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour éviter cette situation, l'employeur aurait évidemment
pu soumettre l'autorisation donnée à son journaliste à des conditions
précises. En ne le faisant pas, il ne pouvait ultérieurement reprocher à
ce salarié d'avoir franchi des limites qui n'avaient pas été fixées.
Il est à noter que la commission arbitrale des journalistes (compétente lorsque le licenciement est prononcé pour faute grave),
saisie par ce même salarié pour faire fixer le montant de son indemnité
de licenciement a également estimé que les reproches formulées dans la
lettre de licenciement "soit ne sont pas matériellement établis, soit ne caractérisent pas une faute grave" et a en conséquence condamné la société de presse à payer une indemnité de licenciement au salarié.
Enfin, un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre
2004 fournit l'occasion de rappeler que les fautes des salariés ne
peuvent plus valablement être invoquées pour motiver une sanction
lorsque le délai de prescription est écoulé.
En l'espèce, une entreprise de presse reprochait à l'un de ses journalistes d'avoir "travaillé pour le compte d'entreprises de presse extérieures". Selon elle, ces collaborations constituaient
"une violation caractérisée des obligations de l'article 7 de la
convention collective, justifiant son licenciement pour faute grave".
La Cour d'appel observe toutefois que l'employeur avait été
informé de ces collaborations extérieures au plus tard le 14 mars 2001.
Or les poursuites disciplinaires n'avaient été engagées que 14 juin
2001.
La Cour rappelle donc qu'aux termes de l'article L122-44
1er alinéa du Code du travail (devenu depuis l'article L1332-4), aucun
fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites
disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois au jour où l'employeur en
a eu connaissance à moins que ce fait ait donné lieu, dans le même
temps, à l'exercice de poursuites pénales.
Les faits reprochés à la journaliste étaient donc prescrits
lorsque la procédure de licenciement a été engagée et la rupture du
contrat de travail par l'employeur est donc, de ce seul fait, jugée
abusive. Il importait donc peu que les règles posées à l'article 7 de la
convention collective des journalistes aient ou non été respectées.
* *
*
A priori, à ce jour, aucun arrêt ne s'est interrogé sur la
validité même des dispositions de cet article 7 de la convention
collective des journalistes.
Pourtant, on peut se demander si, en imposant, en
particulier aux journalistes employés à temps partiel, d'obtenir
l'autorisation de leurs employeurs de collaborer avec une autre
entreprise, cet article 7 de la convention collective des journalistes
ne porte pas atteinte au principe fondamental du libre exercice d'une
activité professionnelle.
Il a d'ailleurs déjà été jugé par la Cour de cassation
qu'une clause par laquelle un employeur soumet à son autorisation
préalable l'exercice, par son salarié engagé à temps partiel, d'une
autre activité professionnelle "n'est valable que si elle est
indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et
si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et
proportionnée au but recherché" (Cass. soc. 16 sept. 2009), le principe étant que "le droit reconnu aux salariées de cumuler leur emploi (...) avec un autre emploi" est "inhérent au droit de tout travailleur à temps partiel de compléter son activité" (Cass. soc. 14 oct. 2009).
commentaires
- Many thanks par Thierry
- Collaboration extérieure par Pascal
- Et les pigistes ? par Aka Fantômette
Many thanks
Merci Maître pour ces explications très claires et si différentes de celles données par mon employeur.
Thierry
Collaboration extérieure
Est-ce que pour un journaliste
salarié, la publication d'un livre, chez un éditeur, est considérée
comme une "collaboration extérieure" sujette donc à autorisation ?
Est-ce
que la nature meme de ce livre qui reprendrait pour partie les écrits
de ce journaliste déjà publiés dans son organe de presse habituel
pourrait modifier c votre réponse ?
Avec mes remerciements,
Pascal
Et les pigistes ?
D'accord, mais qu'en est-il des pigistes ?
Si
je comprends bien, les journalistes employés à titre occasionnel (=
pigistes dans le langage de la CC) ne sont pas tenus de déclarer leurs
autres collaborations, sauf si leur employeur le demande ? Et ce, même
s'ils jouissent d'un statut de "pigiste régulier" défini par un accord
interne à l'entreprise ? Enfin, l'employeur d'un journaliste pigiste
régulier peut-il lui interdire la collaboration avec une liste précise
de revues qu'il juge concurrentes et ce, même si la "protection des
intérêts légitimes de l'entreprise" ne semble pas menacée ?
Questions qui divisent au sein de mon syndicat !
merci de publier vos réponses.
RépondreSupprimerJe dois dire que je ne comprends pas bien si vous me remerciez pour la publication de mes réponses ou si vous me demandez de les publier...
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