Dans le cadre d'une
procédure d'appel nullité d'une décision de la Commission arbitrale des
journalistes ayant fixé l'indemnité de licenciement d'un journaliste qui avait
été employé pendant plus de 15 ans par une agence de presse, la Cour d'appel de
Paris avait accepté de transmettre à la Cour de cassation la question de prioritaire de
constitutionnalité (QPC) rédigée ainsi :
"L'interprétation jurisprudentielle constante des articles L 7112-2, L 7112-3 et L 7112-4 du code du travail issue de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation numéro 11-28.713 du 13 avril 2016 (FS+P+B) réservant le bénéfice de l'indemnité de licenciement [de congédiement] aux journalistes salariés des entreprises de journaux et périodiques à l'exclusion des journalistes des agences de presse et de l'audiovisuel est-elle conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis, dont en premier lieu le principe d'égalité ?" (cf. cette autre page sur ce sujet).
Par un arrêt du 9 mai 2018, la Cour de cassation
a toutefois refusé de transmettre cette question au Conseil constitutionnel.
Celui-ci n'aura donc pas l'occasion d'y répondre.
Pour motiver sa décision de refus, la Cour de
cassation retient tout d'abord que "la
question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition
constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu
l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle".
De fait, on sait que pour qu'une QPC puisse être
transmise il ne faut pas qu'elle porte sur l'interprétation d'une disposition
constitutionnelle sur laquelle le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion
de se prononcer.
On reste toutefois un peu sur sa faim, car la
Cour de cassation se garde bien de préciser à quelle occasion le Conseil
constitutionnel se serait déjà prononcé sur ce sujet.
Or l'unique fois où le Conseil de constitutionnel
s'est penché sur la constitutionnalité des dispositions des articles L7112-3 et
L7112-4 du Code du travail (et pas de celles de l'article L7112-2), c'était dans le cadre de sa
décision du 15 mai 2012. Etaient alors contestés, le mode de calcul de
l'indemnité de licenciement des journalistes et le recours obligatoire à la
Commission arbitrale des journalistes pour les salariés ayant plus de 15 ans
d'ancienneté (cf. cette autre page sur ce sujet).
Evidemment à cette date, le Conseil
constitutionnel ne s'était pas prononcé sur la conformité à la Constitution de
l'arrêt rendu le 13 avril 2016 – soit 4 ans plus après - par lequel la Cour de
cassation a jugé que l'indemnité de licenciement des journalistes telle que
prévue à l'article L.7112-3 du Code du travail ne s'appliquait pas aux
journalistes employés par des agences de presse et ce au motif que l'article
L.7112-2 du même Code, pourtant relatif au seul préavis, fait lui référence aux "entreprises de journaux et périodiques" (cf. cette autre page sur ce
sujet).
Par ailleurs dans son arrêt du 9 mai 2018, comme
si elle n'était pas vraiment certaine de son premier moyen, la Cour de
cassation a ajouté, pour justifier sa décision de refus de transmettre la QPC
au Conseil constitutionnel, qu'il "n'existe
pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions
législatives contestées refusant au journaliste salarié d'une agence de
presse le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3
et L. 7112-4 du code du travail".
Là encore, la rédaction de l'arrêt manque de
clarté.
Deux lectures sont possibles.
La première – optimiste pour ceux qui voudraient
penser que la règle posée par l'arrêt du 13 avril 2016 est provisoire –
consiste à relever que la Cour de cassation ne s'est prononcée qu'une seule
fois sur cette question et qu'il n'est dès lors pas possible, comme cela était
fait dans la QPC posée, de considérer
qu'il s'agit, "en l'état" d'une
"jurisprudence constante".
Il est toutefois peu habituel qu'une juridiction mette en avant son inconstance et c'est sans doute une seconde
lecture qu'il faut retenir.
La Cour de cassation n'a jamais refusé aux
journalistes salariés d'une agence de presse le bénéfice de l'indemnité de
licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et
L. 7112-4 du Code du travail.
Sa décision du 13 avril 2016 a en effet été
rendue au visa des seuls articles L. 7112-2 (relatif au préavis) et L. 7112-3
(fixant à un mois par année ou fraction d'année l'indemnité de licenciement
dans la limite de 15) du Code du travail (cf. cette autre page sur ce sujet) et non pas sur
l'application des dispositions de l'article L.7112-4 du même Code (relatives à la compétence de la Commission
arbitrale des journalistes pour fixer l'indemnité de licenciement des
journalistes ayant plus de 15 années d'ancienneté).
En fait, si la Cour de
cassation ne s'est "en l'état" pas prononcée sur l'application
des dispositions prévues à l'article L.7112-4 du Code du travail aux journalistes
employés par une agence de presser c'est simplement parce que le salarié qui
avait engagé la procédure ayant abouti à l'arrêt du 13 avril 2016 n'avait pas
15 ans d'ancienneté au moment de la rupture de son contrat de travail.
On imagine bien que
lorsqu'elle est saisie d'une QPC qui porte sur la constitutionnalité de sa
propre jurisprudence, la Cour de cassation est déjà assez peu encline à la
transmettre au Conseil constitutionnel, mais en lui prêtant une jurisprudence
qu'elle n'a "en l'état" pas sur la non-application des dispositions
de l'article L.7112-4 aux journalistes employés par des agences de presse,
l'auteur de la QPC lui a facilité la tâche.
L'occasion de faire examiner cette jurisprudence
incompréhensible de la Cour de cassation sur l'indemnité de licenciement des
journalistes employés par des agences de presse par le Conseil constitutionnel
a donc été un peu gâchée.