2 oct. 2020

Indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse. La Cour de cassation fait "marche arrière toute".

Pendant longtemps, la Cour de cassation a jugé que tous les journalistes, qu'ils soient employés par une société de presse écrite, une société de l'audiovisuel ou une agence de presse, avaient exactement les mêmes droits en cas de licenciement, c'est-à-dire qu'ils pouvaient prétendre à une indemnité d'un montant équivalent à un mois de salaire par année ou fraction d'année dans la limite de 15 ans et sur décision exclusive de la Commission arbitrale des journalistes pour les années d'ancienneté supérieures à 15 ou en cas de licenciement pour faute grave (cf. cette page sur ce sujet).

 

Par un arrêt du 13 avril 2016  la Cour de cassation avait toutefois estimé "qu'il résulte de l'article L7112-2 du Code du travail que seules les personnes mentionnées à l'article L7111-3 [c'est-à-dire les journalistes professionnels employés dans "une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse"] et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L7112-3" (cf. cette page sur ce sujet).

 

Cette décision en ce qu'elle excluait du bénéfice de l'indemnité légale de licenciement des journalistes ceux qui étaient employés par des agences de presse était alors apparue vraiment incompréhensible en droit.  Elle  résultait d'une interprétation très contestable (et d'ailleurs contestée par plusieurs auteurs) du Code du travail par la Cour de cassation puisque les dispositions de l'article L.7112-2 du Code du travail qu'elle avait invoquées concernent uniquement la durée du préavis en cas de licenciement et non pas l'indemnité de licenciement d'un journaliste.

 

Suite à cet arrêt, les journalistes employés par des agences de presse ne pouvaient plus prétendre (sauf accord d'entreprise plus favorable) qu'à l'indemnité légale minimum prévue en cas de licenciement et applicable à tous les salariés (en l'absence de convention collective plus favorable), soit 1/4 du montant du salaire mensuel par année d'ancienneté dans la limite de 10 ans et 1/3 de ce salaire mensuel pour les années d'ancienneté supérieures à 10.  

 

Plusieurs Cours d'appel et certaines formations de la Commission arbitrale des journalistes avaient toutefois résisté à cette jurisprudence en considérant que tous les journalistes, quels que soient leurs employeurs, avaient les mêmes droits en cas de licenciement (cf. cette page sur ce sujet).

 

La Cour de cassation elle-même s'était montrée réservée sur sa propre jurisprudence en retenant, dans un arrêt du 9 mai 2018 rendu à l'occasion de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, qu'il "n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées refusant au journaliste salarié d'une agence de presse le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du Code du travail" (cf. cette autre page sur ce sujet).


Par un arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation procède au revirement de jurisprudence qui était attendu. 

 

Saisie d'un pourvoi formé par l'AGENCE FRANCE PRESSE à la suite d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait jugé que la Commission arbitrale des journalistes était bien compétente pour fixer l'indemnité d'un journaliste employé par une agence de presse, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

 

Elle retient dans cet arrêt qu'il n’"y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du Code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit".

 

Ayant rappelé que l’article L. 7111-3 du Code du travail qui fixe le champ d’application des dispositions du Code du travail particulières aux journalistes professionnels définit ceux-ci comme "toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources" et relevé que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d’application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques, la Cour de cassation juge que la cour d’appel a retenu, à bon droit, que si une restriction apparaissait dans l’article L. 7112-2 du Code du travail relatif au préavis, elle ne saurait être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 et qu'elle en a exactement déduit que la demande d’annulation de la sentence de la Commission arbitrale qui avait accueilli la demande de fixation de l’indemnité de licenciement du salarié licencié par une agence de presse devait, en application de ce dernier texte, être rejetée.

 

On ne peut évidemment, cette fois, qu'approuver le raisonnement.

 

Il en résulte que non seulement la Commission arbitrale est bien compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement des journalistes employés par des agences de presse (ayant plus de 15 années d'ancienneté ou ayant été licenciés pour faute grave) mais aussi que leur indemnité de licenciement, dans la limite de 15 ans d'ancienneté, est d'un mois par année ou fraction d'année.

 

Reste le cas des journalistes qui ont été licenciés par une agence de presse après l'arrêt du 13 avril 2016 et qui, de ce fait, n'ont pas reçu l'indemnité légale de licenciement des journalistes. 

 

Si la loi n'est pas rétroactive, son interprétation par la Cour de cassation l'est. 

 

En d'autres termes, dans la limite de la prescription, ces journalistes pourraient prétendre à un rappel d'indemnité de licenciement sur la base de celle qui leur était en fait (et donc même en droit) due.

 

Vianney FÉRAUD

Avocat au barreau de Paris

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