Lorsque la
clause de cession invoquée par un journaliste produit les effets d'un
licenciement abusif
La décision
d'invoquer la clause de cession incombe évidemment au journaliste lui-même et à lui
seul.
Certaines pratiques ont toutefois été observées ces dernières années.
Cherchant à réduire le nombre des journalistes qu'elles emploient, des sociétés de presse en incitent certains à prendre l'initiative de rompre leur contrat de travail par le jeu de cette clause.
Parfois le versement de l'indemnité légale de rupture s'accompagne d'un bonus plus ou moins élevé lequel diminue d'ailleurs en fonction du temps que prendront les journalistes pour se décider à invoquer cette clause de cession.
D'autres fois, les pratiques sont plus brutales.
En janvier 2013, un groupe de presse acquiert une société de presse dont le siège social est situé à Reims.
Un plan de
sauvegarde de l'emploi est mis en place. Son but est évidemment de
réduire la masse salariale de l'entreprise.
En parallèle, la
société informe les journalistes de l'ouverture de la clause de cession prévue
à l'article L.7112-5 1° du Code du travail.
Plusieurs
journalistes invoquent cette clause.
Certains estiment
toutefois avoir été poussés à rompre leur contrat de travail et dénoncent les
pressions qu'ils ont subies en ce sens.
L'un d'eux saisit
le conseil de prud'hommes de Reims.
Il soutient que
c'est son employeur, par son attitude, qui l'a contraint à invoquer
la clause de cession alors que telle n'était pas son intention à quelques
années de la retraite.
A l'appui de cette
prétention, le journaliste indique principalement qu'après la cession, son
employeur a, du jour au lendemain, modifié sans son accord son contrat de
travail en l'affectant à un poste de journaliste localier alors que depuis
plusieurs années il était responsable d'un service. Ces nouvelles fonctions
auraient eu en outre un impact sur sa rémunération car, à ses précédentes
fonctions, était attachée une prime d'objectifs.
Tout en invoquant la
clause de cession, ce journaliste avait pris le soin d'écrire à son employeur : "si j'en suis réduit à devoir quitter l'entreprise,
c'est parce que, par votre volonté, mon travail et tout ce qui s'y rapporte a
été vidé de son contenu".
Lorsqu'un salarié
prend l'initiative de rompre son contrat de travail en raison d'un manquement
de son employeur, sa décision doit s'analyser comme une prise d'acte de la
rupture du contrat de travail.
La Cour d'appel de
Reims dans un arrêt du 27 avril 2017 [1] retient que, compte tenu des faits
invoqués dans ce courrier, la décision du journaliste d'invoquer la clause de
cession est équivoque et doit s'analyser comme une prise d'acte de la rupture
du contrat de travail.
Une prise d'acte de
la rupture du contrat de travail produit soit les effets d'une démission, soit
ceux d'un licenciement abusif selon que la juridiction saisie juge que les
faits invoqués par le salarié pour expliquer sa décision de mettre fin à son
contrat constituent ou non une faute de l'employeur rendant impossible la
poursuite du contrat de travail.
La Cour d'appel de
Reims après avoir constaté que la rupture du contrat de travail par le
journaliste dans le cadre de la clause de cession s'analysait en une prise
d'acte de la rupture a donc recherché si, comme le soutenait ce journaliste,
son contrat de travail avait effectivement été modifié sans son accord par son
employeur entre la cession et la date à laquelle il lui a notifié sa décision
de rompre son contrat de travail.
Estimant qu'en
retirant à son journaliste ses anciennes fonctions et en lui en confiant de
nouvelles d'un niveau très nettement inférieur et en le privant ainsi d'une
partie de sa rémunération liée à ses anciennes fonctions, la Cour d'appel juge
que la société a commis des manquements d'une gravité telle qu'ils empêchaient
la poursuite de la relation de travail.
Elle en déduit que la
prise d'acte de la rupture du contrat de travail par ce journaliste doit
produire les effets non pas de la clause de cession mais d'un licenciement sans
cause réelle et sérieuse.
La société de
presse est donc condamnée à verser à son ancien salarié des dommages-intérêts
(12 mois de salaire en l'espèce), son indemnité légale de licenciement lui
ayant déjà été versée dans le cadre de la clause de cession.
La solution n'est
pas nouvelle.
La Cour de cassation
dans un arrêt du 15 mars 2006 a déjà jugé :
"Mais attendu que la cour d'appel a décidé à bon droit que la résiliation du contrat de travail motivée par la cession du journal ou du périodique, prévue par l'article L. 761-7 1° [devenu L7112-5 1°] du Code du travail, n'intervient qu'à la condition que l'intention du salarié de mettre fin pour cette raison à la relation de travail soit claire et non équivoque ;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que
le salarié ne s'était résolu à invoquer la clause légale de cession du journal
que parce que les propositions de modifications de son contrat qui lui avaient
été faites par le nouvel actionnaire majoritaire entraînaient une diminution de
son salaire de l'ordre de 25 % ; qu'elle a pu en déduire, abstraction faite des
motifs erronés critiqués par la première branche du moyen et qui sont
surabondants, que sa volonté de résilier son contrat de travail n'était ni claire
ni dépourvue d'équivoque et, et par voie de conséquence, que la transaction
qu'il avait ensuite conclue était nulle"
L'arrêt de la Cour
d'appel de Reims qui s'inscrit donc dans le droit fil de cette jurisprudence
doit évidemment être approuvé.
Lorsque c'est en
raison du comportement fautif de son employeur qu'un salarié quitte son emploi
que ce soit par une démission, un départ à la retraite ou encore, comme ici,
par le jeu de la clause de cession, cet employeur s'expose à être considéré
comme étant le véritable auteur de la rupture du contrat de travail, laquelle
ne peut dès lors qu'être abusive.
On voit en tout
cas que, bien que relevant d'un régime dérogatoire en ce qu'elle permet au
journaliste qui prend l'initiative de rompre son contrat de travail de
percevoir une indemnité de licenciement, la notification de la rupture du
contrat de travail dans le cadre de la clause de cession prévue à l'article
L7112-5 1° du Code du travail reste soumise aux règles du droit
commun.
Reste une interrogation
: que se serait-il passé si la Cour d'appel avait considéré que les faits
invoqués par le journaliste étaient insuffisamment graves pour que sa prise
d'acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d'un
licenciement abusif ?
Aurait-elle
considéré que la rupture du contrat de travail s'analysait comme une simple
démission privant le salarié de toute indemnité (y compris celle due en
cas d'exercice de la clause de cession) ou aurait-elle jugé
que celui-ci ayant de toute façon invoqué la clause de cession il devait au
moins percevoir l'indemnité de licenciement due en cas de notification de cette
clause ?
La question ne
s'est pas posée devant la Cour d'appel, d'une part parce que la Société n'a
rien demandé à ce titre et surtout parce qu'il a été jugé que la rupture du
contrat produisait les effets d'un licenciement abusif, cette société ayant
commis une faute.
Lorsqu'un salarié
prend l'initiative de partir à la retraite en raison de fautes qu'il
impute à son employeur, une telle rupture du contrat de travail qui s'analyse
en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit, selon la Cour
de cassation, "les effets d'un licenciement sans cause réelle et
sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un
départ volontaire à la retraite".
Par un raisonnement
analogue, on peut estimer que la même Cour de cassation jugerait que lorsqu'un
journaliste invoque la clause de cession tout en arguant de fautes commises par
son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement abusif,
soit ceux d'une clause de cession.
[1] Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi en
cassation
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