Un journaliste est
amené à créer, dans le cadre de l'exercice de sa profession et souvent
en exécution de son contrat de travail, des œuvres de
l'esprit (articles, photographies, reportages audiovisuels…).
Si elles sont
originales au sens du droit de la propriété intellectuelle (c'est-à-dire si
elles portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur), ces œuvres
bénéficient de la protection du droit d'auteur.
Le journaliste peut
alors prétendre être titulaire des droits patrimoniaux d'auteur et,
à ce titre, s'opposer (sauf exceptions) aux reproductions et représentations
non autorisées de ses œuvres par des tiers.
La loi HADOPI du 12
juin 2009 a toutefois instauré une cession automatique de ces droits
patrimoniaux - pour leurs principales exploitations en tout cas - aux Sociétés
de presse employeurs de journalistes. Ces derniers ont donc largement été dépossédés de leurs droits d'auteur au profit de leurs employeurs.
En outre, une
publication de presse est assez régulièrement qualifiée d'œuvre collective au
sens de l’article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété
intellectuelle, c'est-à-dire une œuvre "créée sur
l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la
divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution
personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans
l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer
à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé".
Or, selon l'article
L113-5 du Code de la propriété intellectuelle "l'oeuvre
collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou
morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est
investie des droits de l'auteur".
La Société de presse
qui édite une œuvre collective peut donc prétendre être seule titulaire des
droits d'exploitation des articles et autres œuvres de l'esprits originales
créés par les journalistes qui ont contribué à cette oeuvre collective.
L'auteur d'une oeuvre
originale est toutefois également investi du droit moral sur cette œuvre.
Selon l'article
L121-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit moral comprend
principalement le droit au respect du nom de l'auteur, de sa qualité et de son
oeuvre.
Or, à la différence
des droits patrimoniaux d'auteur, ce droit moral est attaché à la personne de
l'auteur. Il a la particularité d'être perpétuel, inaliénable et
imprescriptible.
Un arrêt de la Cour
d'appel de Paris du 13 février 2015 a été l'occasion d'examiner dans quelles
conditions un journaliste professionnel peut opposer son droit moral d'auteur à
une société de presse.
Une journaliste
reprochait à une Société éditrice d'avoir modifié, avant publication, un
certain nombre d'articles qu'elle avait écrits et ce sans qu'elle soit
consultée et, a fortiori, sans qu'elle ait donné son autorisation sur ces
modifications.
Après avoir été
déboutée de ses demandes par le Tribunal de grande instance (et même condamnée
à verser à la Société de presse une indemnité pour procédure abusive), cette
journaliste avait saisi la Cour d'appel de Paris.
Elle soutenait - une
fois n'est pas coutume - qu'étant payée à la pige, elle n'était pas
salariée de cette Société de presse mais liée avec elle par un contrat
d'entreprise ce qui, selon elle, ne permettait pas à cette Société de modifier
ses textes sans son accord.
N'étant pas salariée,
ses articles ne pouvaient en effet pas s'intégrer dans une œuvre collective
qui, toujours selon elle, peut seule "recevoir des aménagements
nécessités par l'harmonisation des différentes publications".
Elle en déduisait que
Société de presse avait porté atteinte à son droit moral d'auteur.
Puisqu'elle y était
invitée, dans son arrêt du 13 février 2015, la Cour d'appel s'est donc
intéressée tout d'abord à la nature du contrat liant cette journaliste à la
Société de presse et à la qualification du support (le magazine) dans lequel
avaient été publiés les articles modifiés.
On comprend cependant
mal pourquoi la journaliste insistait tant sur le fait qu'elle n'était pas
salariée.
L'auteur d'une œuvre
de l'esprit originale, qu'il soit ou non salarié, est titulaire du droit moral
sur son œuvre.
La reconnaissance d'un
droit moral d'auteur ne dépend en effet pas du statut de salarié mais
uniquement du statut d'auteur et la loi HADOPI n'a pas confisqué ce droit moral
aux journalistes salariés, auteurs d'œuvres originales.
Bref, le journaliste
salarié détient le même droit moral sur ses œuvres de l'esprit que le
journaliste non salarié.
La Cour d'appel
estime ensuite, puisqu'elle était également invitée à se prononcer sur ce
point, que la revue dans laquelle les articles de la journaliste ont été
publiés doit recevoir la qualification d'œuvre collective au
sens l'article L 113-2 aliéna 3 du Code de la propriété
intellectuelle.
L'intérêt d'une telle
qualification de l'oeuvre est grand pour la Société de presse puisque, comme
rappelé ci-dessus, par application des dispositions de l'article L113-5 du Code
de la propriété intellectuelle elle peut prétendre être titulaire des droits
d'exploitation des articles.
La question ici posée
portait toutefois sur le droit moral de l'auteur.
Par un arrêt du 22
mars 2012 la première chambre civile de la Cour de Cassation a retenu que
"la personne physique ou morale à l’initiative d’une œuvre
collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre et, notamment,
des prérogatives du droit moral".
Cette qualification
d'œuvre collective serait donc susceptible de priver le journaliste de son
droit moral et ce serait donc la Société de presse – personne morale – qui en
serait investie ab initio.
En l'espèce, la Cour
d'appel de Paris adopte a priori une conception qui peut sembler moins radicale
puisqu'elle considère que cette qualification d'œuvre collective "n'a
pas pour effet de priver les contributeurs justifiant d'une oeuvre identifiable
de tout droit sur celle-ci".
Plus précisément, la
Cour d'appel de Paris retient qu' "il y a lieu de considérer que
si le promoteur de l'œuvre collective qui encadre la liberté des auteurs et
exerce un rôle de direction peut exercer un contrôle sur les textes à publier
au regard de l'orientation du journal et de l'objectif recherché par celui-ci,
ces limites ne sauraient justifier des modifications de l'écrit original
dénaturant le style et l'esprit de son œuvre".
Elle reconnaît donc
que même lorsque le magazine en question est qualifié d'œuvre collective, les
différents contributeurs à cette œuvre – et donc principalement les
journalistes - ont un droit au respect de leurs articles publiés ce
magazine.
De fait, la Cour
d'appel recherche ensuite si les modifications apportées par la Société de
presse aux articles de la journaliste sans son autorisation ont ou non porté
atteinte à son droit moral d'auteur ou s'il s'agissait simplement de "corrections
grammaticales et syntaxiques, ou de la simple application de règles
typographiques propres au secteur de la presse, ou encore de corrections
d'informations historiques erronées, ou enfin d'un allègement et d'une
fluidification du style" présentant "un caractère justifié et
proportionné".
Après avoir procédé à
une analyse des différentes modifications apportées aux articles de la
journaliste par la Société de presse, la Cour d'appel retient ici qu'aucune
modification substantielle n'a été effectuée et que ces modifications mineures
n'ont dénaturé l'esprit ou le style des articles.
La journaliste est
donc déboutée de ses demandes.
Les enseignements
à tirer de cet arrêt sont importants.
Tout d'abord, la Cour
d'appel de Paris affirme que, quelque soit la nature juridique de la revue dans
laquelle sont publiés les articles du journaliste, celui-ci reste titulaire du
droit moral d'auteur sur ses œuvres (à condition dit-elle qu'elles soient
"identifiables" ce qui peut paraître un peu contradictoire avec la
notion même d'œuvre collective pourtant retenue).
Le journaliste est en
donc en droit d'interdire les modifications de ses articles dès lors que ces
modifications dépassent les limites admises par la Cour, c'est-à-dire les
corrections mineures de style ou d'erreur qui ne dénaturent pas le texte
initial.
La règle de droit
étant posée, il reste à la Société de presse à apprécier, au cas par cas,
celles des modifications qui doivent ou non être autorisées avant publication
par le "journaliste auteur".
Cette solution est
évidemment transposable à d'autres œuvres de l'esprit.
Par exemple, une
photographie ne devrait pas être recadrée avant publication sans l'accord de
son auteur, même s'il est journaliste salarié.
De telles règles ne
peuvent qu'être approuvées.
En effet, dès lors
que le nom de l'auteur d'un article de presse est porté à la connaissance des
lecteurs, on ne peut pas imaginer que cet article soit réécrit ou transformé
sans l'accord de cet auteur auquel l'article est inévitablement associé.
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