Les "ordonnances travail" publiées le 23
septembre 2017 n'y changeront rien, le contrat de travail à durée indéterminée
est et restera, selon l'article L.1221-2 alinéa 1er du Code du
travail, "la forme normale et générale de la relation de
travail".
Ce n'est donc que
par exception à ce principe que des contrats à durée déterminée peuvent être
conclus.
Il est notamment possible de recourir à des contrats à
durée déterminée dits "d'usage" (CDDU) pour, selon
les termes de l'article L.1242-2 du Code du travail, "les emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité
définis par décret ou convention ou accord collectif de travail étendu, il est
d'usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature
temporaire de
ces emplois".
L'article D.1242.1 du Code du travail dresse
la liste des secteurs d'activité dans lesquels il est possible de conclure des
contrats à durée déterminée.
Parce que l'audiovisuel figure parmi
ces secteurs d'activités, les sociétés qui exploitent des chaines de
télévisions et/ou des radios ont eu et ont toujours massivement recours à ces
CDDU.
Ceux-ci présentent, en apparence en
tout cas, une grande souplesse.
Le salarié est recruté pour un temps
limité et l'employeur n'a aucune obligation en fin de contrat. Surtout, le CDD
d'usage peut être renouvelé de façon successive, sans le moindre délai entre
deux contrats.
Entre deux contrats, le salarié est
invité à se tourner vers Pôle emploi.
Pour les techniciens, la relation de
travail se fait dans le cadre de contrats d'intermittence. Pour les
journalistes ce sont des contrats d'usage à répétition ou - ce qui revient au
même - des contrats de pige prévoyant des journées précises de travail.
Le fait qu'un salarié soit embauché
dans le secteur de l'audiovisuel n'autorise toutefois pas automatiquement et
aveuglement l'employeur à recourir à des contrats à durée déterminée d'usage.
Il lui faut pouvoir démontrer - en cas
de contestation évidemment - qu'il est d'usage de ne pas recourir à un contrat
à durée indéterminée en raison de l'activité exercée et du caractère par nature
temporaire de l'emploi concerné.
Cette règle résulte de l'article L.1242-1 du Code du travail selon lequel le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
La jurisprudence de la Cour de cassation insiste tout particulièrement
sur le caractère par nature temporaire que doit avoir l'emploi occupé en CDDU.
Par deux
arrêts du 23 janvier 2008,
cette Cour a donné une portée large à l'interdiction, posée à cet article L.1242-1,
de pourvoir durablement par un contrat à durée déterminée d'usage un emploi lié
à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Le recours aux CDDU n'est donc autorisé que
lorsqu'il est justifié par des raisons objectives qui s'entendent
de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire
de l'emploi concerné.
Bien évidemment, lorsqu'un salarié est
embauché sous CDDU pendant des années pour accomplir le même travail - parfois
pour la même émission - il est difficile, pour son employeur, de justifier du
caractère par nature temporaire de son emploi.
Le recours massif aux CDD d'usage par
les entreprises audiovisuel public (FRANCE TELEVISIONS et RADIO FRANCE
notamment) a, depuis longtemps, été qualifié d'abusif, notamment dans un rapport
parlementaire du 17 avril 2013.
De fait, certains salariés employés
par ces sociétés enchainent les CDDU pendant des années.
Les contrats leur sont souvent remis
le jour même du début du CDD, voire même après le terme de la collaboration.
Une telle précarité est souvent
difficile à supporter puisque le salarié n'a aucune garantie sur le fait que sa
collaboration sera reconduite à la fin de son CDD. Il ne peut connaître en
début de mois, le montant de son salaire et il lui est évidemment difficile de
s'engager dans d'autres contrats en parallèle ou même simplement de planifier
des congés.
Beaucoup de salariés ne font rien,
espérant être "intégrés" sous CDI.
Certains prennent toutefois les devants
et saisissent les tribunaux d'une action en requalification de leurs CDD en CDI.
D'autres encore réagissent lorsqu'ils
comprennent, au bout d'un délai plus ou moins long et de façon plus ou moins
claire, que la société qui les a employés pendant des années ne fera (a priori)
plus appel à eux.
La volonté du législateur a été de
favoriser les actions en requalification de CDD en CDI en prévoyant une
procédure accélérée devant le Conseil de prud'hommes puisque (normalement), il
doit être statué sur cette demande dans un délai d'un mois.
Selon une jurisprudence récente (Cass. soc., 8 mars 2017), le conseil de prud'hommes statuant
en référé est compétent pour ordonner la poursuite du CDD le temps que le juge
du fond se prononce sur la demande de requalification. La situation du salarié en
poste qui craignait que, du fait de la saisine d'une juridiction, sa relation
de travail cesse se trouve donc confortée.
Si le conseil de prud'hommes fait doit
à la demande de requalification du CDD en CDI, le contrat en cours se poursuit
après son terme.
Lorsque le CDD a d'ores et déjà pris
fin, le salarié peut demander une requalification a posteriori de la relation
de travail et soutenir que la fin de ce CDD doit produire les effets d'un
licenciement abusif, ce qui lui ouvre droit à une indemnité de requalification,
une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement et à des dommages-intérêts
pour licenciement abusif. Il peut également solliciter à la réparation du
préjudice subi du fait de la situation de précarité dans laquelle il a été
maintenu.
L'analyse de la jurisprudence permet
d'établir que, depuis quelques années, de nombreux salariés employés en CDD par
les entreprises de l'audiovisuel public ont saisi les juridictions du
travail.
Par exemple pour la seule année 2016,
on compte au minimum 14 arrêts rendus par différentes cours d'appel concernant
des demandes de requalification de CDD en CDI formulées par des journalistes
employés par FRANCE TELEVISIONS.
Sans surprise, dans la grande majorité
des cas, les Cours d'appel requalifient la relation de travail en un contrat à
durée indéterminée, au motif qu'il n'a pas été justifié par la société que
l'emploi pour lequel un (et souvent plusieurs) CDD d'usage a/ont été remis au
salarié était par nature temporaire.
Un arrêt de la Cour d'appel de
Montpellier du 24 février 2016 est assez significatif.
Dans cette décision, cette Cour a
relevé que :
"La requalification prévue par l'article L
1242-1 du code du travail est une règle d'ordre général qui peut entraîner la requalification
en contrat à durée indéterminée alors même que le contrat a été conclu dans les
cas prévus par la loi pour une durée déterminée.
Cette règle concerne
ainsi tant les contrats à durée déterminée pour remplacement que les contrats
d'usage lorsque l'emploi est permanent et lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise.
En l'espèce, il n'est
pas discuté et il ressort des tableaux d'activité établi par la Société que ce
dernier a exercé pour chacun de ses contrats les mêmes fonctions de journaliste
et il n'est pas contesté qu'il les exerçait en vue de la conception et de la
réalisation des sujets et reportages diffusés quotidiennement sur la chaîne
France 3 dans ses Journaux télévisés, cette programmation faisant partie intégrante
du cahier des charges et de la mission de service public de la société France télévisions.
Il en résulte que le recours à des
contrats de travail à durée déterminée successifs pour assurer l'élaboration et
la diffusion des journaux télévisés n'est pas justifié par des raisons
objectives, s'entendant d'éléments concrets établissant le caractère par nature
temporaire de l'emploi occupé.
En effet la diffusion
récurrente, à savoir quotidienne voire bi quotidienne de cette émission de
journaux télévisés relève bien de l'activité normale et permanente de la
société France
Télévisions,
peu important dès lors le nombre de jours réellement travaillés par an par le
salarié affecté à cette tâche.
Dès lors et sans qu'il
soit nécessaire d'examiner la régularité formelle des contrats , il y a lieu
dès lors de faire droit à la demande en requalification en contrat à durée
indéterminée à compter du premier jour travaillé, soit à compter du 25 août
1994."
Le 28 juin 2017, la Cour d'appel de Rennes retenait
quant à elle :
"Il n'est pas
contesté que le cahier des charges de France 3- France Télévisions lui impose de produire des
journaux télévisés et des magazines d'information tant pour son antenne
nationale que pour ses antennes régionales.
Il n'est pas davantage
discuté qu'ainsi, et afin d'alimenter quotidiennement les éditions des journaux
télévisés quotidiens, Mme H. avait pour mission de réaliser des reportages
d'actualité selon l'angle rédactionnel défini par la rédaction.
La diffusion
quotidienne d'un journal télévisé constituant nécessairement l'activité normale
et permanente de France
3- France
Télévisions,
force est de constater que la succession de contrats à durée déterminée conclus
avec Mme H. était destinée à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité
normale et permanente de l'entreprise, répondant à un besoin structurel de
celle ci.
Le jugement entrepris
sera en conséquence confirmé en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle
entre Mme H. et la société France Télévisions en contrat à durée indéterminée à compter du 27 octobre
1997".
Les Sociétés qui exploitent des
radios publiques ne sont pas en reste.
Faute d'argument sans doute, la Cour
d'appel de Paris constatait, dans un du 24 septembre 2014, que la Société RADIO FRANCE ne contestait plus
la demande de requalification des CDD en CDI formulée par le journaliste
embauché sous CDDU.
Outre les sanctions classiques liées à la rupture de
cette relation de travail requalifiée en CDI, la Cour d'appel a condamné la Société RADIO FRANCE à
verser au salarié des dommages-intérêts en raison de la situation de précarité
dans laquelle il a été maintenu pendant de nombreuses années.
Elle a motivé
cette condamnation de la façon suivante :
"En appliquant à M Martin Z le système de contrats à
durée déterminée décrit ci-dessus pendant 26 ans, système également appliqué à
de nombreux autres collaborateurs, Radio France a choisi délibérément et
nécessairement consciemment de s'appuyer sur le régime spécifique
d'assurance-chômage, pour compléter les salaires irrégulièrement versés, mais
aussi de maintenir pendant toutes ces années le salarié dans un système de
précarité d'emploi et de flexibilité constante de son travail ayant
nécessairement un impact sur l'organisation de sa vie, mais aussi sur les droits
auxquels il aurait pu prétendre s'il avait bénéficié d'un CDD (notamment comité
d'entreprise et autres avantages réservés au salarié permanent)." [il s'agit évidemment
a priori d'une faute de frappe de la Cour et il faut lire "CDI" et
non pas "CDD"]
Il serait évidemment faux de penser
que seules les entreprises de l'audiovisuel privé ont recours de façon
irrégulière aux CDD.
C'est d'ailleurs un ancien dirigeant
de TF1 qui, par un arrêt de la Cour
d'appel de Versailles du 13 septembre
2013 a été condamné, au plan pénal, pour recours irrégulier à des contrats à
durée déterminée d'usage.
La juridiction pénale, reprenant le
raisonnement suivie par la chambre sociale de la Cour de cassation, a considéré
que "dans le secteur de
l'audiovisuel, il peut être recouru aux contrats à durée déterminée, sous la condition
qu'il s'agisse d'affecter des salariés à des mission précises et temporaires,
et non à des emplois durables et permanents".
Après avoir constaté que le recours
à des contrats précaires par TF1 "forme
une masse importante à l'échelle d'une année" et encore que "ces emplois, par leur masse et leur
durée, traduisent un besoin permanent", la Cour d'appel a condamné le dirigeant
de cette société à une peine d'amende.
Bref, le recours massif aux contrats à durée
déterminée d'usage est une pratique qui n'est pas sans risque.