Deux thèses s'affrontaient.
La première consistait à soutenir que l'indemnité
spécifique de rupture conventionnelle qui devait être versée à un journaliste
professionnel ne pouvait pas être inférieure à celle due, également à un
journaliste professionnel, dans le cadre d'un licenciement, soit un mois par
année d'ancienneté dans la limite de 15 (article L. 7112-3 du code du
travail)
Selon la seconde thèse, seul le plancher de
l'indemnité légale de licenciement soit 1/5ème de mois par année d'ancienneté
(majorée de 2/15ème au delà de 10 ans d'ancienneté) devait être respecté.
En octobre 2013, deux chambres distinctes de la Cour d'appel
de Paris avaient adopté, à un jour d'intervalle, l'une et l'autre de ces 2
thèses (cf.
cette autre publication sur ce point).
La décision de la Cour de cassation était donc attendue.
Par un arrêt 3 juin 2015, elle a cassé l'arrêt de la
Cour d'appel de Paris qui avait jugé que le montant de l'indemnité spécifique
de rupture conventionnelle due à un journaliste professionnel devait être au
moins égal à l'indemnité de licenciement prévue, par la loi, pour les
journalistes.
Elle
constate tout d'abord que l'article L.1237-13 du code du travail selon lequel "la convention de rupture définit les
conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de
rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité
prévue à l'article L.1234-9 du Code du travail" se réfère aux seules
dispositions de cet article L.1234-9.
Cet
article L1234-9 du Code du travail dispose que "le salarié titulaire d'un contrat de
travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année
d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas
de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de
cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié
bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces
modalités sont déterminés par voie réglementaire".
Or, pour
la Cour de cassation, l'indemnité de licenciement qui est visée par cet article
L1234-9 ne peut être que celui prévu par les articles R. 1234-1 et R. 1234-2
c'est-à-dire une indemnité d'un cinquième de mois par année d'ancienneté.
Le raisonnement suivi par la Cour d'appel de Paris selon lequel
"les articles L. 1234-9, R. 1234-1
et R. 1234-2 du code du travail ne fixent pas un mode de calcul unique de
l'indemnité de licenciement mais un mode de calcul minimum auquel il peut être
dérogé et que l'indemnité de licenciement du journaliste prévue à l'article L. 7112-3 du code du travail
constitue une indemnité de licenciement au sens de l'article L. 1234-9 du code
du travail auquel la convention de rupture ne pouvait pas déroger par
application des dispositions de l'article L. 1237-13 du même code" est
donc censuré.
Dit autrement,
il est possible de conclure avec un journaliste professionnel une rupture
conventionnelle prévoyant une indemnité spécifique de rupture inférieure à celle
qui aurait du lui être versée en cas de licenciement dès lors que cette
indemnité spécifique est au moins égale à 1/5 de mois par année d'ancienneté dans
la limite de 10 ans (et de 1/3 de mois pour la partie supérieure à 10 ans
d'ancienneté).
Cette
décision appelle deux commentaires et un rappel.
D'abord,
puisque la Cour de cassation considère que seules les règles de droit commun
s'appliquent aux journalistes régularisant une rupture conventionnelle, la
compétence de la Commission arbitrale des journalistes pour fixer le montant de
l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle dû à des journalistes ayant
plus de 15 ans d'ancienneté ne semble définitivement pas pouvoir être retenue (cf.
cette autre publication sur ce sujet).
Ensuite,
les journalistes professionnels bien qu'ayant, par l'effet de la loi, droit à
une indemnité de licenciement nettement supérieure à celle prévue en droit
commun pour tous les autres salariés (5 fois plus environ) sont en pratique
placés dans une situation bien moins favorable que de très nombreux autres salariés.
En effet, la plupart des conventions collectives prévoient une indemnité de licenciement
supérieure à celle prévue par la loi. Or,
depuis l'avenant du 18 mai 2009 à l'accord national interprofessionnel du 11
janvier 2008 (étendu le 26 novembre
2009), le montant de l’indemnité́ spécifique de rupture conventionnelle ne doit
pas être inferieur au montant de l’indemnité́ conventionnelle de licenciement
lorsque cette dernière est supérieure à l’indemnité́ légale de licenciement.
Par exemple, un cadre (non
journaliste) employé par une entreprise de presse et dont le contrat de travail
est soumis à la convention collective de la presse (cadre) ne pourra pas
percevoir une indemnité spécifique de rupture conventionnelle inférieure à un
mois par année d'ancienneté (dans la limite de 16) alors que celle versée à un
journaliste, employé dans la même société, pourra n'être que de 1/5ème
de mois par année d'ancienneté. Le fait que le mode de calcul de l'indemnité
de licenciement des journalistes soit prévu non pas par la convention
collective des journalistes (qui ne détermine que l'assiette de cette indemnité
en son article 44) mais par la loi est donc un désavantage certain dans le
cadre d'une rupture conventionnelle. Cela peut paraître paradoxal.
Un rappel donc pour finir. Aucune
des parties, employeur ou salarié ne peut être contrainte d'accepter une
rupture conventionnelle. De plus si, comme vient de le juger la Cour de
cassation, le plancher de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle dû à un journaliste est de 1/5ème de mois par année d'ancienneté, il
n'existe aucun plafond et les parties sont donc libres de fixer cette indemnité
spécifique par exemple au montant de l'indemnité de licenciement des journalistes. Bref, journaliste
et employeur peuvent entre eux convenir d'appliquer une règle que ni la loi ni
la convention collective ne prévoient expressément.