Une salariée embauchée en 1990 invoque en 2008 la clause de cession des journalistes (cf.
cette autre publication sur ce sujet).
Son
employeur lui verse alors une indemnité de licenciement équivalente à 14 mois de
salaire.
Cette
salariée conteste le montant de cette indemnité qui, selon elle, ne tient pas
compte de son ancienneté dans la société supérieure à 15 ans.
L'employeur
lui répond que si elle était bien journaliste au moment de la rupture du
contrat de travail, elle ne l'était pas au moment de son embauche (en qualité
de directrice artistique) et qu'elle ne l'est devenue qu'en avril 1994, soit
moins de 15 ans avant la date à laquelle elle a invoqué la clause de cession.
La
journaliste saisit le Conseil de prud'hommes et, en parallèle, la Commission
arbitrale des journalistes.
Cette
Commission qui est compétente pour fixer le montant de l'indemnité de
licenciement uniquement lorsque le journaliste a plus de 15 ans d'ancienneté
(ou en cas de licenciement pour faute grave, ce qui n'était ici pas le cas) (cf.
cette autre publication sur ce sujet), décide de surseoir à statuer dans
l'attente de la décision du Conseil de prud'hommes.
En
juin 2009, le Conseil de prud'hommes juge que la salariée ne peut pas prétendre
à une ancienneté en qualité de journaliste professionnelle supérieure à 15 ans.
La
Cour d'appel de Paris confirme cette décision et arrête le point de départ de
l'ancienneté de la salariée en qualité de journaliste au mois d'avril 1994,
ainsi que le soutenait l'employeur.
Le
motif qui avait conduit la Commission arbitrale des journalistes a sursoir à
statuer ayant disparu, la journaliste décide, nonobstant l'arrêt de la Cour
d'appel qui a retenu une ancienneté inferieure à 15 ans, de reprendre la
procédure arbitrale.
En
novembre 2011, cette Commission arbitrale, après avoir constaté que la Cour
d'appel de Paris avait retenu que cette salariée ne pouvait prétendre à une
ancienneté supérieure à 15 ans en qualité de journaliste professionnelle, se
déclare incompétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement.
La
journaliste décide d'interjeter appel de cette décision arbitrale.
Il
n'est ici pas inutile de rappeler que, selon les dispositions du dernier alinéa
de l'article L7112-4 du Code du travail : "la décision de la commission arbitrale est obligatoire
et ne peut être frappée d'appel".
On
sait toutefois que nonobstant cette disposition, un appel-nullité reste
possible.
Sans
rentrer ici dans tous les détails, l'appel-nullité est envisageable précisément
lorsqu'aucun recours n'a été prévu par le législateur.
Cette
voie de l'appel-nullité est toutefois forcément étroite ; elle concerne surtout
les hypothèses où un excès de pouvoir a été commis.
S'agissant
de la Commission arbitrale des journalistes, c'est donc principalement
lorsqu'elle a statué en dehors de son champ de compétences (délimité par la
loi) que des appels-nullité ont été jugés recevables et fondés.
Ainsi
saisie par la journaliste, la Cour d'appel de Paris ne s'est toutefois pas prononcée
sur le bien-fondé de son appel-nullité.
Ce
recours a en effet été jugé irrecevable au motif que les conclusions au soutien
de cet appel n'ont pas été signifiées dans un délai de 3 mois suivant la date
de l'appel alors qu'elles auraient dû l'être dans ce délai.
Pour
comprendre cette décision, il faut ici indiquer que depuis quelques années, un
appelant doit effectivement conclure dans ce délai de 3 mois suivant son recours. A défaut son appel est caduc.
Cette
règle, prévue à l'article 908 du Code de procédure civile, n'est toutefois pas
applicable devant les chambres sociales des Cours d'appel amenées normalement à
examiner les appels des jugements rendus par les Conseils de prud'hommes.
En
l'espèce, l'appel-nullité de la journaliste avait été enrôlé, non pas devant
une chambre sociale mais devant une chambre civile.
Il
convenait donc, selon la Cour d'appel, de respecter les règles de procédure
applicables devant cette chambre et notamment de conclure dans ce délai de 3
mois.
La
solution est sévère. Les règles relatives à la Commission arbitrale des
journalistes étant prévues au Code du travail, on aurait pu penser que les
chambres sociales de la Cour d'appel auraient été naturellement compétentes pour
connaître des recours formés contre les décisions de cette Commission
arbitrale.
La
Cour d'appel de Paris rappelle toutefois que, en principe, les sentences de la
Commission arbitrales ne sont pas susceptibles de recours. Si, par exception,
un appel-nullité peut être engagé, cette procédure doit alors suivre,
conformément à ce que prévoit l'article 1495
du Code de procédure civile, les règles ordinaires applicables devant les
Cours d'appel dans le cadre des contentieux avec représentation obligatoire par
un avocat. Le délai de 3 mois devait donc être respecté.
La
journaliste forme un pourvoi en cassation. Par arrêt du 15 avril 2015, ce
pourvoi est rejeté, la Cour de cassation confirme que le respect du délai de 3
mois pour conclure s'imposait dans le cadre d'un appel nullité d'une sentence
rendue par la Commission arbitrale des journalistes.
Dura
lex, sed lex !
Indépendamment
de cette question de procédure, cette affaire conduit à une interrogation.
On
ne connait pas précisément les raisons pour lesquelles la journaliste,
nonobstant le (premier) arrêt de la Cour d'appel qui a retenu qu'elle n'avait
pas 15 ans d'ancienneté, est retournée devant la Commission arbitrale puis a
formé un appel-nullité à l'encontre de la sentence de cette Commission retenant
qu'elle n'était pas compétente mais on peut facilement imaginer que cette
journaliste attendait de l'instance arbitrale une analyse différente de celle
retenue par la Cour d'appel sur son ancienneté en qualité de journaliste.
On
peut également imaginer que cette journaliste soutenait que l'appréciation de
la Cour d'appel de Paris sur cette ancienneté ne s'imposait pas à la Commission
arbitrale.
De
fait, pour quelle raison cette Commission ne pourrait-elle pas, elle-même,
apprécier l'ancienneté d'un journaliste afin de déterminer si elle est ou non
supérieure à 15 ans ?
La
question mérite d'être posée dès lors que, par exemple, lorsqu'il s'agit
d'apprécier le montant de l'indemnité d'un journaliste licencié pour faute
grave, la Commission arbitrale n'est pas tenue par la décision d'un Conseil de
prud'hommes (ou d'une Cour d'appel) et peut donc estimer que la faute grave n'est
pas caractérisée même si, en parallèle, une telle qualification du motif du
licenciement a été retenue par les juridictions du travail (cf.
cette autre publication sur ce sujet).
Normalement
une juridiction est compétente pour apprécier elle-même si elle compétente pour
connaître d'un litige. Cette règle devrait donc permettre à la Commission
arbitrale (qui
est bien une juridiction selon le Conseil constitutionnel) de rechercher si
un journaliste a plus ou moins de 15 ans d'ancienneté.
Toutefois, par application des
articles L. 1411-1 à L.1411-5 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes a
une compétence exclusive pour connaître de tous les litiges individuels nés à
l'occasion d'un contrat de travail.
Il s'agit d'une règle de
compétence d'ordre public et ce n'est donc que par exception que la Commission
arbitrale est compétente dans les strictes limites arrêtées par la loi.
C'est
en ce sens qu'il y a plus de 50 ans, la chambre sociale de la Cour de
cassation, dans un arrêt du 18 juillet 1961, a retenu "qu'en estimant que la compétence exceptionnelle
de la commission des journaliste, instituée pour fixer souverainement, dans des
conditions dérogatoires au droit commun, le montant de l'indemnité de
licenciement due au journaliste ayant plus de quinze années de service, ne
pouvait être étendue à la détermination de l'existence et de la durée du
contrat, lorsque celle-ci, comme en l'espèce était en réalité l'objet principal
du litige et faisait l'objet d'une contestation sérieuse, l'arrêt attaqué a
fait une exacte application des textes".
Bref,
il n'est pas de la compétence de la Commission arbitrale de déterminer
l'ancienneté du salarié en qualité de journaliste et la décision rendue sur ce
point par un Conseil de prud'hommes ou une Cour d'appel s'impose à elle.
On
notera toutefois que dans cet arrêt de 1961, la Cour de cassation fait
référence à l'existence d'une "contestation
sérieuse" sur la durée du contrat de travail. La Commission arbitrale
des journalistes devrait donc pouvoir statuer sans attendre une éventuelle
saisine d'un Conseil de prud'hommes lorsque la contestation de cette durée par
l'employeur est à l'évidence dilatoire.
En
l'espèce, s'agissant de la journaliste initialement embauchée en qualité de
directrice artistique c'est moins la durée du contrat de travail lui-même qui
était contestée que celle pendant laquelle cette salariée avait eu le statut de
journaliste professionnelle.
Cependant,
là encore, la compétence dérogatoire de la Commission arbitrale ne devrait pas
lui permettre de déterminer qui peut ou non prétendre au statut de journaliste
professionnel, cette appréciation incombant d'une part à la Commission de la
carte d'identité professionnelle des journalistes lorsqu'il s'agit de délivrer
une carte de presse et, d'autre part, aux juridictions du droit du travail
lorsqu'il s'agit d'appliquer les règles propres aux salariés relevant de ce
statut.