15 nov. 2013

Sanctions de la non déclaration des heures supplémentaires ou complémentaires effectuées par un journaliste

Une rédactrice en chef adjointe est employée par une Société de presse par un contrat à durée indéterminée à temps partiel.

Elle saisit le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt.

Elle soutient notamment que si elle a été payée sur la base d'un temps partiel elle a, dans les faits, travaillé à temps plein.

Elle demande donc le paiement des heures complémentaires effectuées et non payées et soutient également que son employeur s'est rendu coupable du délit de travail dissimulé.

Le Conseil de prud'hommes déboute la journaliste de l'ensemble de ses demandes.

En appel, la Cour d'appel de Paris infirme le jugement de première instance.

Cette Cour constate tout d'abord que le contrat de travail à temps partiel ne contient aucune des mentions obligatoires prévues à l'article L3123-14 du Code du travail, c'est-à-dire :

  • la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail convenue ;
  • la répartition de la durée du travail entre les jours ou les semaines;   les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ;
  • les modalités selon lesquelles les horaires de travail seront communiqués au salarié ;
  • les limites dans lesquelles le salarié peut effectuer des heures complémentaires ;
Ce contrat est donc présumé à temps complet.

La Cour d'appel constate en outre que la preuve des heures complémentaires est rapportée par la salariée.

Celle-ci produit en effet son agenda et des courriels qui démontrent que, alors qu'elle ne devait pas travailler les mercredis elle a été, du fait de la charge de travail, contrainte de travailler à "n'importe quelle heure du jour et de la nuit, tout au long de la semaine, y compris le mercredi et certains week-ends".

Les éléments versés au débat démontrent donc, selon la Cour d'appel, que la société de presse a imposé à la journaliste de rester en permanence à sa disposition, "générant des heures complémentaires nettement supérieures à la durée légale et ce, sans respect du délai de prévenance et sans aucune majoration de salaire".

"En l'absence des mentions obligatoires visées ci-dessus (c'est-à-dire celles prévues par l'article L3123-14 du Code du travail) et compte tenu de l'accomplissement d'heures complémentaires au-delà des limites autorisées", la Cour d'appel requalifie le contrat de travail en un contrat à temps plein et condamne l'employeur à payer un important rappel de salaires à la journaliste.

Mais la Cour était également saisie d'une demande au titre du travail dissimulé.

L'article L8221-5 du Code du travail dispose que :

"Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
(...)
de mentionner intentionnellement sur le bulletin de paye "un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli".
Lorsque la durée réelle du travail a été dissimulée et que le contrat de travail a été rompu (ce qui était le cas en l'espèce), l'article L8223-1 du Code du travail prévoit que le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La Cour d'appel, au visa de ces textes, condamne donc la société de presse à payer à la journaliste une indemnité équivalente à 6 mois de salaire "en réparation du préjudice subi par elle du fait de la dissimulation de son emploi" (c'est-à-dire indépendamment du paiement des heures complémentaires elles-mêmes).

Elle estime que l'intention frauduleuse de l'employeur est caractérisée par "l'absence des mentions correspondant au temps de travail réellement effectué".

La Société est également condamnée à payer à la salariée les indemnités de rupture de son contrat de travail.

Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation.

La Société de presse, pour critiquer l'arrêt de la Cour d'appel, soutenait d'une part que la preuve du caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi n'était pas rapportée et d'autre part que l'indemnité prévue à l'article L8223-1 du Code du travail (égale à 6 mois de salaire) ne pouvait pas se cumuler avec les indemnités de licenciement.

Dans un arrêt du 19 septembre 2013, la Cour de cassation estime que la décision de la Cour d'appel selon laquelle "l'intention frauduleuse de l'employeur était caractérisée par l'absence des mentions correspondant au temps de travail réellement effectué" n'est pas critiquable. La preuve du caractère intentionnel de l'infraction de travail dissimulé est donc admise de façon souple.

Sur le second point, depuis un revirement de jurisprudence en date du 6 février 2013, la Cour de cassation estime qu'au regard de la nature de sanction civile de l'indemnité prévue à l'article L8223-1 du Code du travail, cette indemnité forfaitaire peut effectivement se cumuler avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail.

Le pourvoi est donc rejeté.

Si une telle décision n'est pas nouvelle, elle éclaire sur les risques encourus par un employeur qui ne déclare pas sur les bulletins de paye la totalité des heures de travail effectuées par un journaliste.

9 nov. 2013

Un écrit doit être remis au journaliste lors de son embauche

Selon l'article L1221-1 du Code du travail, le contrat de travail "peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter".

Employeur et salarié peuvent donc, par application de cette disposition, décider que leur contrat de travail sera oral.

De fait, la remise d'un contrat de travail écrit n'est, sauf exception, pas obligatoire en droit français (nonobstant une directive européenne du 14 octobre 1991 qui impose la remise d'un écrit dans le délai de deux mois après le début de la relation de travail) et un salarié peut donc valablement être embauché par un contrat de travail oral.

Certes l'écrit est utile pour, en cas de litige, démontrer l'accord des parties sur le salaire, la qualification professionnelle, les tâches confiées au salarié... mais ces éléments du contrat peuvent être prouvés autrement que par le contrat de travail écrit (par le bulletin de paye notamment).

L'absence d'écrit n'est toutefois pas sans conséquence. Lorsque le contrat de travail est oral il est présumé de façon irréfragable être à durée indéterminée (la preuve contraire ne peut pas être rapportée) et de façon réfragable être à temps plein (la preuve contraire peut être rapportée).

Cette possibilité d'embaucher un salarié par oral souffre toutefois d'exceptions notamment lorsque une convention collective prévoit qu'un contrat écrit doit être effectivement remis par l'employeur.

C'est le cas de la convention collective des journalistes qui prévoit en son article 20 que : "chaque collaborateur devra recevoir, au moment de son engagement, une lettre stipulant en particulier son emploi, sa qualification professionnelle, la convention collective applicable, le barème de référence, la date de sa prise de fonction, le montant de son salaire et le lieu d'exécution du contrat de travail".

Il est difficile d'être plus clair. L'employeur d'un journaliste professionnel doit lui remettre, lors de son embauche, un écrit (qui n'est pas forcément un contrat synallagmatique puisqu'il n'est pas nécessairement contresigné par le salarié).

Une journaliste payée à la pige avait été embauchée sans qu'aucun écrit ne lui soit remis.

A l'occasion d'un litige l'opposant à son employeur, elle se plaignait de la non remise d'un contrat de travail écrit et demandait réparation.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 15 décembre 2010, avait rejeté cette demande en estimant que la journaliste ne justifiait pas de la réalité des avantages dont elle "aurait été privée du fait de l'absence de remise d'un contrat de travail écrit".

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 23 octobre 2013, estime, au visa de l'article 20 de la convention collective nationale des journalistes, que puisqu'il résultait de ses propres constatations que l'employeur n'avait pas remis à la pigiste de contrat de travail écrit, la Cour d'appel aurait dû retenir que cette journaliste avait nécessairement subi un préjudice.

Cette jurisprudence n'est pas nouvelle. Dans un arrêt du 27 mars 2001, la Cour de cassation avait déjà jugé que le défaut de remise au moment de l'embauche d'un contrat de travail écrit en méconnaissance d'une disposition conventionnelle causait nécessairement un préjudice au salarié (en l'espèce le contrat écrit avait été établi un an après l'embauche alors que la convention collective applicable prévoyait que l'embauchage définitif d'un salarié doit être confirmé soit par une lettre, soit par un contrat avec référence à la convention collective, portant notamment mention de l'emploi, des éléments du salaire et des indemnités).

Le montant des dommages-intérêts dû par l'employeur à la journaliste en raison de la non remise d'un écrit au moment de son embauche devra être évalué par la Cour d'appel de renvoi.

Ce préjudice sera manifestement plus élevé si un litige opposant le journaliste à son employeur porte sur les éléments qui auraient dû faire l'objet de l'écrit au moment de l'embauche : l'emploi, la qualification professionnelle, la convention collective applicable, le barème de référence, la date de sa prise de fonction, le montant du salaire ou encore le lieu d'exécution du contrat de travail.

En pratique un grand nombre de journalistes - notamment ceux payés à la pige de façon régulière - n'ont pas de contrat de travail écrit.

Ils peuvent donc, selon la Cour de cassation, prétendre de ce seul fait à la condamnation de leur employeur à leur verser des dommages-intérêts.

Est ce qu'un contrat en anglais est valable ?

  • Par G. Rarementsoif le 10/11/13

RE: Est ce qu'un contrat en anglais est valable ?

L'article L1221-3 du Code du travail dispose que "le contrat de travail établi par écrit est rédigé en français".

A défaut, "l'employeur ne peut se prévaloir à l'encontre du salarié auquel elles feraient grief des clauses d'un contrat de travail"