On a déjà vu que, depuis longtemps, la jurisprudence rappelle régulièrement que l'article L.7112-5 du Code du travail ne prévoyant aucun délai après la "cession du journal ou du périodique" pour invoquer la clause de cession, un employeur ne peut valablement imposer à un journaliste une date limite pour exercer ce droit. Il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être valablement invoquées, que la résiliation du contrat de travail soit motivée par l'une des 3 circonstances qu'il énumère, dont la cession (cf. cette autre publication sur ce sujet).
La pratique qui consiste à "fermer" une clause de cession quelques semaines ou mois après la cession ne repose donc sur aucune base légale.
On a également vu que, dans un arrêt du 7 juillet 2015, la Cour de cassation avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la prétendue imprescriptibilité de clause de cession et ce selon la, là encore, une prétendue jurisprudence de cette même cour, celle-ci considérant pour justifier ce refus que "les dispositions contestées, telles qu'elles sont interprétées par la Cour de cassation, ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la prescription extinctive (cf. cette autre publication sur ce sujet).
On s'était alors demandé si, par cet attendu, la Cour de cassation visait bien le délai de 5 ans prévu à l'article 2224 du Code civil mais faute d'autre précision, c'est la conclusion qui semblait s'imposer.
Dans un arrêt du 28 juin 2018, la Cour d'appel de Paris avait d'ailleurs jugé que le délai de 6 mois après la cession, tel que fixé par un employeur pour invoquer la clause de cession, ne pouvait être opposé à un journaliste qui avait invoqué cette clause 3 ans après la cession dès lors que, écrivait-elle, " l'article 7112-5-1 du code du travail ne raccourcit pas la prescription extinctive de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil" (cet arrêt ayant toutefois fait ensuite l'objet d'une cassation pour un autre motif que celui-là).
Par un arrêt du 8 février 2024, la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion a eu, à son tour l'occasion de se prononcer et ce de façon très claire sur ce sujet.
Un journaliste employé par la société Antenne Réunion Télévision avait invoqué la clause de cession prévue par l'article L. 7 112-5 1° du code du travail le 12 juin 2019 et ce parce que cette société avait l'objet d'une cession le 31 mars 2017, soit 2 ans, 2 mois et 12 jours auparavant.
La société contestait à son salarié la possibilité de se prévaloir de la clause de cession.
Le journaliste s'est donc trouvé contraint de saisir le conseil de prud'hommes.
Celui-ci lui ayant donné raison, c'est la société qui a saisi la cour d'appel.
Devant cette juridiction l'employeur soutenait notamment, pour justifier son refus de reconnaître au journaliste le droit d'invoquer la clause de cession, que sa "demande" était prescrite par application de l'article L.1471-1 du code du travail lequel dispose en son premier alinéa que "toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit".
Selon elle, dès lors que le journaliste avait été informé de la cession en mars 2017, il ne pouvait plus invoquer la clause de cession en juin 2019.
La Cour d'appel de Saint-Denis rejette cet argument.
Après avoir rappelé qu'il "est constant que l'article L 7112-5 du code du travail n'impose aucun délai aux journalistes pour mettre en œuvre la clause de cession", elle retient, comme l'a jugé la Cour de cassation en 2015, que l'application de cette clause de cession ne déroge pas aux règles de droit commun relatives à la prescription extinctive.
Or, rappelle-t-elle, "selon l'article 2224 du code civil le délai de droit commun de la prescription extinctive est de 5 ans".
Après avoir constaté que "le journaliste qui invoque la clause de cession n'engage pas une action, il invoque simplement le droit qui lui est reconnu par l'article L. 7112-5, 1° du code du travail", elle juge que "le journaliste peut faire jouer la clause de cession dans le délai de droit commun (…) soit 5 ans à partir de la cession ou, plus précisément, de la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d'invoquer la clause de cession. S'il n'a pas connaissance de la cession ce délai ne commence pas à courir".
Elle ajoute que, pour saisir le conseil de prud'hommes, le journaliste "n'aura en revanche, par application de l'article L.1471-1 du code du travail, que deux ans à partir de la date à laquelle il a notifié sa décision d'invoquer la clause de cession si son employeur lui en a refusé le bénéfice".
La Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion confirme donc le jugement du conseil de prud'hommes qui avait condamné la société à verser à son ancien salarié l'indemnité de licenciement due aux journalistes (cf. cette autre publication sur ce sujet).
Sa démonstration juridique est parfaite.
On en retiendra que - même si ce qui n'était pas le cas ici - lorsqu'un employeur n'informe pas ses salariés de la cession et que ceux-ci ne l'apprennent pas autrement (ce qui peut être le cas lorsque la cession résulte d'un simple transfert d'actions de la société), le délai de 5 ans pour invoquer la clause ne commence pas à courir.